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2 SOMMAIRE 3 Rubrique courrier 4 Folk Anne Briggs : A collection 8 Psychedelia Bohemian Vendetta 12 Dossier Frank Zappa 13 La bio à deux balles 16 Histoires Rock Le Studio Z 22 Objets discographiques très identifiés Frank Zappa / David Bowie / String Driven Thing / The Heads 32 Pop The Third Rail 37 Progressif Shirley Kent 39 Retour Ray Davis, Other People's Lives 40 1 album, 2 critiques Analogy / Leaf Hound 46 Krautrock un label en Ohr 55 Rock français A bas les Yéyés 58 L arrière-boutique Bill Graham 61 Le coin des collectionneurs Swingin London, Part 2 67 Un oeil dans le rétro Entretien avec Fred Vidalenc 70 Soul La soul psychédélique 77 Entretien Savage Resurrection 82 La relève The Hooded Moon / Brian Jonestown Massacre 92 Concerts Jeff Beck / The Stooges 94 Cinéma Nanars & Rock n Roll Vampyros Lesbos 97 L île déserte 106 Coup de gueule 107 Crédits 2

3 La rubrique courrier de Potato Si vous aussi, vous souhaitez que Potato arrête de se la couler douce, contactez notre rédaction : courrier@rock6070.com 3

4 Anne Briggs : A Collection Grâce à l épais livret qui l accompagne, je découvre aussi la femme aventureuse, éprise de liberté, préférant les aléas d une vie marginale au gymkhana et aux artifices du show-biz, la suis dans ses tribulations et pérambulations : depuis son premier voyage en stop, en 1959, à l âge de quinze ans, où, fuyant son Nottinghamshire natal pour Edimbourg, elle va rencontrer Bert Jansch, jusqu à sa venue sur une île d Ecosse où, depuis, elle vit avec son mari et sa fille. «I ve always felt totally at one with the natural environment the landscape, the wild life. What is. It s only people that make life difficult. I do enjoy people, but I can live without them» Anne Briggs vec ce CD, je découvre enfin cette vedette du folk anglais : sa voix cristalline et radieuse, ses chansons, pour la plupart a capella, livrées sans trémolo, sans autres inflexions que celles commandées par la sincérité. 4

5 Son premier enregistrement (deux chansons) a lieu en 1962 par l entremise du Center 42. Instauré par la fédération des syndicats pour transmettre l art et la culture en province, ce centre est dirigé par des patriarches du folk anglais, comme Ewan McColl et A. L. Bert Lloyd. Elle participe ensuite, en août 1963, au Festival d Edimbourg et enregistre deux autres chansons, qui paraîtront sur l album Edinburgh Folk Festival Vol. 1, les célèbres She moves through the fair et Let no man steal your thyme, qu elle délivre avec une vigueur et une conviction bouleversantes. Tout démarre ces années-là, notamment à Londres où fleurissent des clubs comme Les Cousins, The Scott s Hoose, The Troubadour, clubs qu elle fréquente et où elle se produit. À Londres, elle retrouve Bert Jansch et partage sa vie. Il lui apprend à mieux se servir d une guitare, elle l initie à de vieilles ballades dont quelques-unes figureront au répertoire du maître du picking, ou à celui de Pentangle : Blackwater side, Rosemary Lane, Reynardine, The cuckoo, Let no man steal your thyme; il lui doit aussi Go your way (my love), première de ses compositions. Cette fille énergique, un peu cassecou, qui saute dans l eau sans raison et grimpe aux échafaudages, appréhende d être sur scène et picole pas mal pour vaincre cette appréhension ce qui ne donne pas toujours de bons résultats! Elle redoute aussi les séances de studio, doutant d atteindre la perfection qu elle exige d elle-même. En août 1964, paraît The Hazards of Love, son premier EP solo. Elle y fait montre derechef d une étincelante vigueur et d une poignante sincérité; chacune des complaintes choisies, Lowlands, My bonny boy, Rosemary Lane, Polly Vaughan, représentent un moment unique et passionnant. Pour June Tabor, qui a alors seize ans, c est une révélation : elle découvre non seulement qu elle doit chanter, mais encore comment il lui faut chanter elle confiera plus tard qu elle s isola quinze jours dans sa salle de bain pour apprendre ces chansons, rendant sa mère complètement folle. S ensuit une année de vaches maigres, vécue près d Edimbourg, avec un personnage excentrique, Gary the archer, «un type ressemblant en tout point à Jimi Hendrix... avant Jimi Hendrix», dit Bert Jansch, tant dans sa manière d être, que dans ses goûts vestimentaires. Anne et lui aiment la chasse, armés d arcs et de flèches, suivis d un fidèle lévrier, ils passent lièvres. En 1965, elle sillonne les routes d Irlande avec Andy Irvine, Terry Woods et Johnny Moynihan, c est-àdire The Sweeney s Men, premier des groupes irlandais dit modernes (Johnny Moynihan introduit le bouzouki, instrument grec). Ils voyagent de conserve (Anne et Johnny, Andy, Terry et leurs compagnes) à bord d un minibus 5

6 Volkswagen passablement déglingué : une vie de saltimbanque qu elle abandonne à son gré pour des escapades solitaires, au milieu des bois, au bord de la mer, ou pour rejoindre Londres afin de s y procurer un peu d argent la voit souvent dans la métropole des bus et phone boxes rutilants. Elle apparaît brièvement dans Travelling For A Living, un documentaire diffusé par la télévision, ainsi qu en compagnie de Martin Carthy et Dave Swarbrick (qui jouent alors ensemble) lors d un festival au Cecil Sharp House. Elle joue également au Battersea Town Hall avec Ewan McColl et Peggy Seeger. Christy Moore (futur Planxty) la découvre au Scott s Hoose; elle y chante seule devant un public médusé et silencieux un choc pour lui qui a trop l habitude des pubs où les gens n écoutent pas les musiciens. C est aussi l année (en juillet) où paraît The Bird In The Bush, un recueil de chansons érotiques qu elle partage avec A.L. Lloyd et Frankie Armstrong chanteuse de sa génération, qui a commencé par jouer du rock n roll, puis s est convertie au folk. Elle y chante quatre chansons ; l une sur les conséquences des jeux amoureux, Gathering rushes in the month of May ; deux sur la recherche du plaisir, The whirly whorl et The stonecutter boy ; la dernière, la plus badine, sur l espièglerie féminine, Martinmas time. 1967, premiers albums d Al Stewart, Cat Stevens, John Martyn, sortie de The 5000 Spirits of the Layers of the Onion d Incredible String Band, ou encore du suave et très traditionaliste The Sweet Primroses de Shirley Collins : il règne alors une effervescence dont elle pourrait profiter, mais elle ne participe (en début d année) qu au Folksong Festival donné au Royal Festival Hall, préférant aux tours de chant forcenés et aux obligations mercantiles, la vie sauvage et libre qu elle mène en Irlande, apprenant les chansons propres aux régions qu elle traverse, les chantant quand l envie lui prend dans les pubs des villages, à la plus grande joie de quelques habitués! Après bien d autres aventures et péripéties, les portes du succès s entrebâillent en 1971 avec la sortie de son premier LP ce Anne Briggs à la pochette cynégétique et stylisée qui provoque l enthousiasme de la presse et du public. Il émane des dix chansons qu il contient une telle authenticité, un telle force nostalgique que l on a l impression qu en regardant par sa 6

7 fenêtre, l on va voir des moulins aux grandes ailes blanches là où trônent d ignobles tours de béton; l impression aussi de respirer un air marin et des odeurs de bruyères. Elle atteint des sommets de maîtrise et d émotion avec le long et risqué Tam Lin (ici Young Tambling), qu elle chante avec une ferveur héroïque, un rythme et une intonation qui font résonner les temps où était crue la légende qu elle restitue. Sa version de Blackwater side, où elle s accompagne à la guitare, est d une légèreté merveilleuse, pareille à celle de Go your way plus douce encore que par son ancien compagnon, mais toutes ces histoires, ces chroniques qu elle transmet, offrent cette ferveur, cette légèreté, cette pureté enchanteresse qui font préférer les chants a capella à ceux enluminés par la guitare où le bouzouki; comme Living by the water autre chanson de sa composition, pourtant captivante, où elle partage cet instrument avec Johnny Moyniham; comme Willie O Winsbury, exquise et chevaleresque. Carcamousse Crédit photographies : 7

8 PSYCHEDELIA Bohemian Vendetta De gauche à droite: Chuck Monica (batterie), Randy Pollock (guitare rythmique), Nick Manzi* (première guitare), Victor Muglia (basse), Arthur Muglia alias Brian Cooke (chant, orgue) * remarquez la grosse montre à son cou, Flavor Fav de Public Enemy n'a rien inventé! «Il est moins doux d'assouvir son amour que de satisfaire à sa vengeance.» Paul-Jean Toulet Aussi compétent que les Seeds plus inventif peut-être, auteur de la plus volcanique version de I can get no satisfaction, Bohemian Vendetta aurait mérité plus d un album à son actif, mériterait plus que l adulation d une coterie passéiste. Son style? Un alliage de pop, de soul, de rhythm and blues, de psychédélisme: celui, typique, des garage bands millésimés 66, Question Mark & The Mysterians, The Seeds, Music Machine, The Standells, The Monks, Mouse and the Traps.... tous ces mousquetaires récalcitrants fourbissant basse, guitare, batteriee et pimentant leur pouvoir subjuguant d un orgue anguillonneux, acrimonieux, iridescent. 8

9 C est à la lecture du Rock psychédélique américain de Philippe Thieyre que je dois de connaître ce combo, et j ai longtemps dû me contenter de fantasmer sur l insolite pochette reproduite dans ses pages, avant que de dénicher Enough, la réédition de Distorsions Records. Ce petit label américain a fait là un excellent travail. Non seulement le CD contient l intégrale des enregistrements, mais encore de belles photos des musiciens et un résumé détaillé de leur parcours. C est à cette manne (surtout) que je dois l historique suivant: Philippe Thieyre se trompe en indiquant que ces bardes vengeurs viennent du Minnesota. Primitivement nommés The Bohemians, Arthur Muglia (aussi connu sous le nom de Brian Cooke), chanteur-compositeurorganiste; son cousin, Victor Muglia, bassiste; Randy Pollock, guitariste rythmique; Richie Sorrentino, batteur; Richard Martinez, guitariste en chef, sont de Long Island (New-York). Tony Sarafino, co-auteur, est leur impresario. Ils enregistrent une première démo Like stone/irresistible aux Associated Recorded Studios de New York au début de l année Like stone (originellement Petrified like stone), comptine gigotante à la rythmique sourde, aux accents miroitants de guitare, prouve leur adresse; l on peut seulement regretter le ton croquemitaine, un peu risible du chanteur. Irresistible, léger, rayonnant, semble mièvre et fleur bleue en comparaison. Courant 1966, deuxième démo, All kinds of lows & all kinds of highs/i don t go that way, à l Allegro Sound (toujours à New York): deux titres rappelant beaucoup le Pushin too hard des Seeds. Ensuite, Richie Sorrentino quitte le groupe, suivi de Richard Martinez qui s en va rejoindre The Cats Meow. Les remplaçants sont Chuck Monica et Nick Manzi; ce dernier délaissant The Rustics, antécédent du groupe de Faine Jade. C est ce line-up qui, fin 66, grave sur une rondelle d acétate trois excellents morceaux: How does it feel, Enough et Half the time. Enough se distingue par sa fougue, son parfum pop, sa guitare baghdadisante et ses chœurs haletants; How does it feel rayonne d une énergie galvanisante; Half the time, tout aussi réfulgent, est doté d un rythme plus saccadé, plus trampolino... Cool Jerk, The Capitols... Cette fois, ils décrochent le pompon: United Artists édite How does it feel/enough au printemps 1967, et ce à l instigation de Tony Sarafino, sous le nom plus provocant, plus saignant, de Bohemian Vendetta. Enough est programmé maintes fois par des radios locales et devient même l attraction de Rate-A-Record de l American Bandstand, l émission de Dick Clark. Cette effervescence les conduit à quelques bons engagements, notamment à l Action House, sur Long Beach, en première partie des Vagrants ou de Vanilla Fudge. Fin 1967, ils enregistrent les démos de titres qui tous, à l exception du dernier, figureront sur leur LP; soit: I wanna touch your heart, Images, House of the rising sun (oui! oui! le péan des Animals) et Charity Killjoy (j en reparlerai). Ils participent aussi au premier album de Faine Jade: Introspection: A Faine Jade Recital. Contre toute attente, ce n est pas United Artists qui publie leur LP, leur éponyme LP, mais Mainstream, et ce, début

10 La pochette est signée Jack Lonshein. C est une sorte de patchwork illustrant les titres des morceaux ou une partie des textes; ainsi les gratte-ciels symbolisent Paradox City, la couronne un vers de All kinds of highs, le soleil The house of the rising sun, la silhouette humaine Images, la tête de mort Deaf, dumb and blind. Après l écrin, voici le joyau... sous toutes ses facettes: Riddles & Fairytales. Un air de fête... bouffons, jongleurs, montreurs d ours, cracheurs de feu... l orgue donne le ton avec des accords frétillants et joyeux. Puis la batterie, frénétique, la guitare, bourdonnante, surgissent. Solide entrée en matière pour un titre bigarré, vif, capricant, strié des grincements urticants, forficulants de la fuzz, des néons alchimistes des chœurs. Le final, évoquant un train faisant machine arrière, est un modèle du genre, du genre lysergique, bien sûr, c est-à-dire cauchemardesque, grinçant, torsadé, surenluminé. (She always give me) pleasure. Un titre sauvage, acerbe et virulent, plus bestial encore que le Wild Things des Troggs avec ses riffs de guitare, tordus, incisifs, sa batterie rétive et crispée. Arthur Muglia hurle «You know that I want her, I love her, I need her, Got to have her, Got to please her, You know she always give me... pleasure!» répond le chœur. On imagine ça dans l ambiance fiévreuse d un club, un samedi soir. All kinds of lows & all kinds of lies. Une reprise, très différente, de leur deuxième démo: un titre, comme je le disais, similaire à Pushin too hard, mais moins ventre à terre, plus incandescent et d un contenu radicalement opposé. Là où Sky Saxon éructe «Well all I want is to just be free, Live my life the way I wanna be», Arthur Muglia proclame «All kinds of highs, all kinds of lows, All kinds of problems nobody knows, That s what we ve gotta be together, That s what our love will never die, I m so glad if you gonna stay for ever, Too keep me flyin high». En fait, par son jive, sa vitalité, elle évoque plus la hardiesse et l exaltation contagieuse des premiers titres des Animals. I can t get no satisfaction. Ne cherchez plus, c est la meilleure reprise du péan des péans: vicieuse, tortilleuse, rampante et satanique... en un mot stoogienne! Muglia hurle à s en arracher les tripes, la fuzz est venin, poignard et délice. Paradox City. Les ondulations mystérieuses de l orgue, genre lost in space annoncent la couleur: il s agit du morceau psychédélique! Pour ceux qui n ont jamais pris d acide, c est l occasion de savoir ce que trip et flip signifient: «So follow me to the depths above, Where the skies are paved with marshmallow love, and flowers stain God harmed in self sitting pity, Daring you enter to Paradox City». Love can make your mind go wild. Rien d original dans ce morceau si ce 1 0

11 n est sa belle carrure soul, sa tribouillante vélocité, ses chœurs enjoués et un solo de guitare des plus excitants. avec les plaintes d un homme voulant toucher le cœur de son aimée... histoire de voir si elle est vraiment humaine! Ainsi se conclut l album. House of the rising sun. La version démo, plus corrosive, plus rugissante, plus désespérée, est de loin la meilleure, mais ce re-recording garde tout son mordant, n offrant aucune comparaison avec le péan des Animals. Rappelons qu il s agit d un traditionnel du XIXe siècle, dont on trouve les premiers enregistrements au Kentucky dans les années Images (Shadow in the night). Dans la veine de Riddles & Fairytales... ambiance carrousel égrenée par l orgue, stomp procombant de la batterie, staccato de la guitare, chœurs-organdi et magnétiques, texte nébuleux et mystique: toute la sève d une époque! «Lost in the mirror of mystery, silently, searching reflection of fantasy, Is it me or images, Shadows in the night! Images! Search the peace and light». La version démo est plus ramassée, plus frontale. Deaf, dumb and blind. Une mélodie chenilleuse, récitative aux accents funèbres et religieux; on songe aux Electric Prunes et leur Mass in F minor, au Gloria Patria de H.P. Lovecraft, et même aux Bee Gees avec Every christian lion hearted man will show you. Mais, et dit sans euphémisme, ça a bien vieilli, et l on peut se laisser griser sans retenue par les accords marmoréens de l orgue, le jeu épineux de la guitare, la frappe décorative de la batterie, la pâte bénigne et onctueuse des chœurs. I wanna touch your heart. Une version plus convaincante que la démo: un titre énergique, athlétique, dont l emphase soul est en conformité La réédition par Distorsions permet de découvrir en plus l excellente démo de Charity Killjoy: un titre écarté au profit de I can t get no satisfaction, et enregistré, rappelons-le, fin 1967 avec I wanna touch your heart, Images et House of the rising sun. La batterie est altière, la basse ronde et magistrale, l orgue formicant, les guitares cisailleuses et conquérantes. La voix de Muglia, un peu étouffée au début, s affirme ensuite avec ardeur, et les chœurs s étirent en d étranges et sourdes réverbérations. C est pitié que d avoir délaissé tant de perfection! On devrait inventer un mot pour signifier la ruine des espérances, quand, faute de publicité, le carrosse se transforme en citrouille et que la réalité pointe sa hure désobligeante. Comme tant d autres, Bohemian Vendetta, n aura servi qu à étoffer un catalogue. Que sont devenus Arthur et Victor Muglia, Randy Pollock, Chuck Monica et Nick Manzi? Mystère Carcamousse 1 1

12 Notre couverture À l heure où Dweezil, le fils Zappa, suit les traces de son père en proposant une deuxième tournée du show «Zappa plays Zappa», Vapeur Mauve revient sur quelques albums clés du musicien moustachu ainsi que sur sa carrière au Studio Z, le tout mâtiné d ironie, chère au maître. Crédit photo : Frank Zappa et les Mothers au U.C.L.A. s Pauley Pavilion (Los Angeles), le 15 mai

13 Déconstruisons un mythe en 10 vérités. La biographie qui suit est une déconstruction de la réalité : il faut par conséquent comprendre qu elle est intégralement falsifiée, mis à part dix allégations disséminées çà et là entièrement vraies. Cette rubrique à caractère humoristique a donc pour vocation de vous faire rire, mais aussi de vous apprendre 10 bizarreries sur la carrière ou la vie d un artiste majeur de la musique des années 60 et 70. À vous de les repérer! Frank Vincent Zappa (21 décembre décembre 1993) Né à Shangaï dans le Dakota du Nord, issu d une famille d origine libanaise (de par son père) et panaméenne (de par sa mère), Frank Zappa grandit en Suède, baigné dans un mélange d'influences musicales allant du zouk à la nouvelle chanson française, en passant par des artistes locaux de musette et d opérette. Après une courte carrière de boxeur professionnel (dont nous retiendrons principalement son combat mémorable contre Tito Tarantula en 1962), Zappa rejoint un groupe local au sein duquel il est flûtiste ; il rebaptise son groupe The Motherf*ckers, puis The Mothers of Sean Connery, à l'instigation de sa compagnie de disques qui ne trouvait pas le nom assez vendeur. Les Mothers sortent en 1966 le double album culte Steak out!, puis Absorb only fries, suivis en 1968 de We're only eating for the fun, qui est une satire grinçante de la gastronomie française, mais aussi du mode de vie traditionnel de nos paysans. Sa pochette mémorable parodie celle de Sgt. Pepper s Lonely Hearts Club Band des Beatles, remplaçant les fleurs par des légumes. En 1969, il renvoie tous ses musiciens, jugeant qu ils ne sont pas assez bons pour jouer son œuvre. Zappa sort alors Hot Potato, un album de scat principalement vocal, à l'écriture bâclée et au ton vaguement primesautier. Il y met en avant son jeu de flûte traversière qui influencera fortement Ian Anperson peu avant la sortie de l album Aquasplash. Le 6 avril 1970, alors qu il se produit au supermarché Casino de Montreux, en Albanie, le feu prend au rayon des produits en conserve, allumé par une caissière en conflit avec la direction. Le supermarché est intégralement détruit. Cet évènement sera immortalisé dans 1 3

14 la chanson f*ck Roger Waters du groupe Boat People, qui enregistrait son futur album My sh*t head à Montreux à cette même période. En décembre 1971, Zappa est agressé par un spectateur lors d un concert à Londres. Il est violemment projeté dans la fosse aux lions qui, heureusem*nt, déjeunaient au Hilton à l heure du drame. Frank Zappa souffre de plusieurs fractures rigolotes, d un traumatisme postnatal, de blessures au nombril, ainsi que d un écrasem*nt du petit orteil. Cela l obligera à rester dans une chaise électrique pendant deux heures et neuf minutes sans pouvoir uriner, et à porter une culotte sale. Entre 1972 et 1975, il sort les excellents albums que sont Wiki/Pedia, Looser Mason session, Catastrophe, Roxy Music is elsewhere et One size Fitzgerald, avec une nouvelle version des Mothers sous une de ses pires formations. Elle se composait de George Drunk aux claviers, Napoleon Eddy Murphy au saxophone et au chant, Zuth Underwoody aux percussions, et Chester Field à la batterie. Après un dernier disque live avec son vieux copain de service militaire, le Capitaine Bigeard, Frank Zappa dissout définitivement les Mothers dans de l acide chlorhydrique. Alors qu il est en procès avec son ancienne maison close, la Wagner, depuis 1977, Zappa crée son propre label, Zappa Zappapa, et publie en 1979 Shake your bounty, qui marque son retour à l afro-beat et dont le simple Bobby Brown sera classé n 1 en Norvège. Dans la foulée, il sort son opéra-zouk en trois actes, Joe's garage habit. Seul le zouk (et un peu de ska) est abordé par Zappa sur cet album pénible où se trouve la fameuse phrase manifeste «Mustard is the best» (la moutarde est la meilleure des choses). À partir du début des années 80, Zappa explore les liens entre la musique qu'il a toujours jouée et la musique chiante de ses ancêtres, enregistrant notamment deux disques avec le Pointe-À-Pitre Symphony Orchestra. En mars 1984, Pierre Boulet et l'ensemble Intervilles jouent trois meringués endiablés de Zappa. C est avant tout de la musique afro-antillaise, celle du XX e arrondissem*nt essentiellement, qu il tire son style et son inspiration : il dit avoir reçu le plus grand choc musical de sa vie dans ses jeunes années en écoutant Ionisation de Edgar Varèse, Tireli pimpon de Carlos et Maldone de Zouk Machine. En 1986, il s illustre en défendant les droits des artistes gays aux États-Unis, notamment en tenant tête à un mauvais sosie de Jerry Lewis lors d un débat télévisé sur la chaîne Fox. Après une courte partie de pétanque, Zappa revient. Son travail ultérieur sera fortement influencé par son utilisation du sifflet à coulisse comme outil pour composer. Il passe également des heures à recycler des prises de son live dans sa cave-studio qu il appelle Utility Muffin Research Kitchen, en fumant joint sur joint et en buvant des litres de vodka-grenadine. Son oeuvre devient également plus explicitement anti-écologiste, se moquant du phénomène de réchauffement climatique, des pluies acides et de la déforestation qui sévit en Guyane belge. Don King organise le 11 septembre 1988 un combat de boxe qui l oppose à Sting. Zappa l emporte aisément par KO dès la 12 e seconde. Fin 1990, son fils illégitime, qu il a eu avec Gary Glitter, révèle au Vatican que son père est atteint d une sérieuse 1 4

15 crise de foi et qu il ne croit plus en Dieu depuis peu Cette maladie, qui lui sera fatale, cause sa mort le 14 décembre 1994, à l'âge de 84 ans. Ce qui est plutôt pas mal pour un flûtiste virtuose de son gabarit qui avait de surcroit un tel appétit. Quelque temps avant sa mort, Zappa s occupa de la politique culturelle tchèque à la demande de Václav Havel, les deux hommes s étant rencontrés en 1982 sur la plage naturiste de La Jenny, près du bassin d Arcachon. Malheureusem*nt, sa maladie lui interdit d être le premier musicien à accomplir une mission spatiale. Le 3 mai 1993, Challenger décollait alors sans lui de Cap Canaveral. En 1995, la seule statue connue de Zappa est installée au centre de Vilnius, la capitale de la Lituanie, et une race de mouton néonom depuis zélandaise porte son Greg le méchant 1 5

16 n 1961, Frank Zappa rencontre Paul Buff, ingénieur du son, créateur du label Emmy, constructeur d un cinq pistes et directeur du studio Pal, au 8040 Archibald Avenue à Cucamonga, en plein cœur du désert Mojave. Débute alors une formidable aventure musicale qui durera jusqu à l arrestation de Frank Zappa pour p*rnographie. Le Studio Z est très certainement le premier studio résidentiel. En 1962, Frank Zappa forme les Masters, avec Paul Buff et Ronnie Williams. Le trio enregistre Breaktime et Sixteen tons, deux titres de surf rock, musique à la mode cette annéelà. Dans la foulée, en août 62, les trois compères mettent en boîte Heavies, dont quelques secondes apparaissent sur We re only in it for the money. Plusieurs formations obscures de doowop, de surf music et de rythm and blues défilent au studio Pal. Paul Buff et Frank Zappa en accompagnent certaines, écrivent quelques chansons et arrangements pour d autres ou se contentent de jouer le simple rôle d ingénieur du son. Début 1963, Ray Collins - qui deviendra le chanteur de la première formation des Mothers of Invention - pousse la porte du studio. Tell me, Love of my life, Deseri, How s your bird?, Fountain of love, entre autres, portent sa signature vocale. Il est accompagné par Zappa sur chacun de ces titres. En 1961, Zappa se présente à Paul Buff comme un jazzman, multiinstrumentiste. Le créateur du studio Pal le met au défit d enregistrer deux titres. Il s agira de Take your clothes off when you dance, que l on retrouvera plus tard sur We re only in it for the money - le morceau original est compilé dans The lost episodes - et de It s from Kansas, présenté dans une version accélérée sur Lumpy Gravy. Plus tard, la même année, Bob Guy, présentateur d une chaîne de télévision locale spécialisée dans les films d horreur, débarque, en Cadillac blanche, au studio Pal avec l intention d enregistrer un disque pour ses fans. Zappa réalise deux collages délirants, préfigurant les effets sonores qui émailleront sa discographie, composés de cris, de grincements, de foudre s abattant, de borborygmes et d une multitude de bruits ridicules. Les deux faces du 45 tours racontent un échange épistolaire entre le Comte 1 6

17 Dracula et Jeepers, incarné par Bob Guy. Dans la même veine, le titre The big surfer est enregistré, quelques mois après. Pour clore cette riche année 63, Ray Collins et Frank Zappa se livrent à un pastiche du tube Hey Paula : ce sera Hey Nelda. Ray Collins, avec sa voix de fausset, joue le rôle de Nelda et Frank Zappa, son amant, Ned. Du Mothers of Invention avant l heure! wings, enregistrés à cette époque, permettent à Zappa d expérimenter les effets stéréo et la guitare fuzz. "J avais un ampli Gibson", raconte Zappa, "et je branchais ma guitare dans l entrée micro et quelque chose de méchant se passait : la fuzz accomplissait son travail". En parallèle à son job au studio Pal, Frank Zappa met sur pied un concerto pour deux bicyclettes (encore plus fort que Kraftwerk) qui sera son premier passage à la télévision. L évènement aura lieu sur Channel 5, pendant le Steve Allen Show est l année des changements. Paul Buff n a plus les moyens financiers de s occuper du studio. Frank Zappa rachète le bâtiment et l équipement pour mille dollars, soit l entièreté de ses droits d auteur (moins le prix d une nouvelle guitare) pour la bande originale du film Run home slow, un western écrit par son ancien professeur d anglais à l Antelope Valley High School, Don Cerveris, scénariste à ses heures perdues. Le premier août 64, Pal devient Studio Z. Une grande soirée d inauguration a lieu, avec quelques futurs Mothers et Don Van Vliet, alias Captain Beefheart. Les titres Tiger roach et Metal man has won his Le contrat de rachat du Pal Studio Zappa récupère des décors de cinéma lors d une vente aux enchères du FK Rocket d Hollywood qu il entasse au studio Z, devenu son domicile depuis son divorce. Motorhead Sherwood se rappelle : "Quand nous étions dans le studio Frank et moi, nous n avions aucun moyen de savoir si c était le jour ou la nuit car les fenêtres étaient peintes en noir. Nous ne quittions jamais le studio. Quand il nous arrivait de sortir, nous étions tout surpris par le fait qu il puisse faire soleil. Je suis allé à Huntington pour un moment à cause d un job et quand je revenais, je ramenais de la bouffe pour Frank et le dépannais avec de l argent, ce genre de choses.". Zappa écrit le scénario d un film de science-fiction Captain Beefheart versus the grunt people, inspiré par les films de Roger Corman, 1 7

18 King Kong et Freaks de Todd Browning. Un article sur le projet paraît dans la presse, mais aucune scène ne sera jamais tournée. Allison, la première femme de Paul Buff, dans le rôle de Nelda ; Ned the Mumbler où Zappa se présente sous l identité de Ned, un chevalier masqué adolescent ; le jazzy Ned has a brainstorm (réenregistré sous le nom de Toads of short forest pour Weasels ripped my flesh). La première page du script de Captain Beefheart versus the grunt people Le refus de Columbia de produire les démos de I was a teen-age malt shop Suit, début 1965, l écriture de I was a teen-age malt shop, un teenage rock opera délirant, racontant l histoire d un directeur de studio qui conclut un pacte avec le diable pour obtenir un hit. En échange, sa fille, Nelda devra être livrée à Satan, c est sans compter sur le héros Ned, lycéen, arrivé depuis peu dans le coin. Avec un pitch pareil, on éprouve des difficultés à comprendre pourquoi Columbia refuse de produire les démos. Le teenage opera sera donc abandonné. Seuls cinq morceaux survivront : The birth of Captain Beefheart introduisant Beefheart comme narrateur ; la plage titulaire, un instrumental où Zappa officie au piano ; Status Back Baby (que l on retrouvera plus tard sur Absolutely Free) avec En mars 65, suite à l article sur Captain Beefheart versus the grunt people, la police suspecte Zappa de réaliser des films p*rnographiques. Un piège est échafaudé. Le Sergent Jim Willis, se faisant passer pour un vendeur de voitures, demande à Zappa de réaliser un film p*rnographique pour trois cents dollars. Le musicien est dans une situation financière délicate et, pensant flairer une occasion facile pour gagner rapidement de l argent, s engage à fournir une bande au contenu évocateur. Zappa et sa compagne de l époque, Lorraine Belcher, enregistrent cris, râles et grincements de lit, riant aux larmes entre les prises. Le lendemain, le couple est arrêté et 1 8

19 et emprisonné. Zappa tire dix jours à la prison de San Bernardino. C est la fin du Studio Z. Le matériel saisi ne sera jamais rendu. Zappa est contraint de mettre la clé sous la porte. Il rejoint les Soul Giants qui deviendront rapidement les Mothers, puis les Mothers of Invention. La suite, on la connaît Nain Dien Références 1961 Take your clothes off when you dance / It s from Kansas (Zappa) FZ (guitare), Danny Helferin (piano), Caronga Ward (basse), Chuck Grove (batterie), Chuck Foster (trompette), Tony Rodriguez (saxophone) 1962 The Masters : Breaktime (Zappa-Williams-Buff) / Sixteen tons (Travis) Emmy E 1008 FZ (guitare), Ronnie Williams (guitare), Paul Buff (batterie, basse, piano) The Rotations : Heavies / The Cruncher (Aerni-Buff) OS 41 FZ (guitare), Paul Buff (batterie, basse, piano), Dave Aerni (basse), Mike Dineri (saxophone) 1 9

20 1963 Ron Roman : Love of my life (Zappa-Aerni) / Tell me (Williams) Daani 101 FZ (guitare, basse, batterie), Ray Collins aka Ron Roman (chants), Ronnie Williams (guitare), Paul Buff (piano, saxophone) Deseri (Collins-Buff) FZ (batterie), Ray Collins aka Ron Roman (chants), Ronnie Williams (guitare), Paul Buff (guitare, basse, saxophone) The Penguins : Memories of El Monte (Zappa-Collins) / Be mine (Day-Nelson) OS 27 FZ (basse, guitare, batterie, piano), Cleve Duncan, Walter Saulsberry, James Conwell, Andrew "Jack" White, Charles Jones, Oliver Williams, Herbert White (chants) Baby Ray & The Ferns : How s your bird? / The world s greatest sinner (Zappa- Collins) Donna 1378 FZ (guitare, basse, batterie), Ray Collins (chants), Paul Buff (piano, saxophone), Dick Barber (effets sonores) Bob Guy : Dear Jeepers / Letter from Jeepers (Zappa-Guy) Donna 1380 FZ (effets sonores, basse, batterie, guitare, piano), Bob Guy (narration) The Heartbreakers : Everytime I see you (Zappa-Collins) / Cradle rock (Gallegos) Donna 1381 FZ (guitare), Benny Rodriguez, Joe Rodriguez (chants), Max Uballez (guitare), Chris Pasqual (basse), Manuel Mosqueda (batterie), Richard Provincio (piano), Armando Mora (saxophone) Brian Lord & The Midnighters : The big surfer / Not another one (Aerni-Buff) Vigah 001 / Capitol 4981 FZ (effets sonores, batterie, guitare), Paul Buff (piano, saxophone, basse), Brian Lord (chants) Ned & Nelda : Hey Nelda / Surf along (Zappa-Collins) Vigah 002 FZ (guitare, basse, batterie, piano, chants), Ray Collins (chants), Paul Buff (saxophone) The Soots : Fountain of love (Zappa-Collins) / Any way the wind blows (Zappa) FZ (guitare, piano, batterie), Paul Buff (basse), Ray Collins (chants) The Hollywood Persuaders : Tijuana / Grunion Run (Buff) OS 39 FZ (guitare, basse, batterie), Paul Buff (saxophone) 2 0

21 Mr. Clean : Mr. Clean / Jessie Lee (Zappa) OS 40 FZ (piano, chants, batterie, guitare), Mr. Clean (chants, harmonica), Dorothy Berry (chants), Paul Buff (basse) The Soots : Slippin and slidin (Zappa) / Evil (Burnett) FZ (guitare), Captain Beefheart (chants), Alex Snouffer (basse), Vic Mortenson (batterie) Why don t you do me right / Take your clothes off [Version 2] (Zappa) FZ (guitare, chants, piano, batterie), Floyd (chants) Speed-Freak Boogie (Zappa-Moon) FZ (guitare), Doug Moon (guitare) Conrad & The Hurricane Strings : Hurricane / Sweet love (Sigarlaki) FZ (producteur), Conrad Couwenberg (guitare), Ed Sigarlaki (guitare), Don Sigarlaki (basse), Patrick Couwenberg (batterie) 1964 Tiger roach / Metal man has won his wings (Zappa-Beefheart) FZ (guitare), Captain Beefheart (chants), Alex Snouffer (basse), Vic Mortenson (batterie) Opening night at Studio Z FZ, Captain Beefheart, Laurie, Ray Collins, Jim Sherwood, Bob Narciso Charva (Zappa) FZ (piano, basse, chants), Jim Sherwood (guitare), Vic Mortenson (batterie) I was a teen-age malt shop (Teenage Rock Opera) The birth of Captain Beefheart / I was a teen-age malt shop / Status back Baby / Ned the Mumbler / Ned has a brainstorm FZ (Ned, piano, guitare, basse, batterie), Captain Beefheart (narrateur), Allison Buff (Nelda) Party Tape FZ, Lorraine Belcher (cris, dialogues salaces, effets sonores) Bibliographie Delbrouck Christophe, Frank Zappa et les mères de l invention, Editions du Castor Astral (2003) Thieyre Philippe, Le rock psychédélique américain , Editions Parallèles (2000) Assayas Michka, Dictionnaire du rock, Robert Laffont (2000) Zappa Frank, Zappa par Zappa, L Archipel (2005) Darol Guy & Jeunot Dominique, Zappa de Z à A, Castor Astral(2000) 2 1

22 principal. À la voix de Suzy Creemcheese succéde Nine Types of Industrial Pollution, titre durant lequel un solo de guitare se mêle à une bien étrange piste rythmique. Le voilà, le secret de Uncle Meat : le télescopage des genres, des thèmes, des mélodies, des rythmes. Jazz, musique classique, doowop, blues, rock, psychédélisme, délires sonores. Frank Zappa & The Mothers of Invention Uncle Meat (1969) Ô toi, Uncle Meat, fabuleux album de Frank Zappa, merveilleux document sur la première mouture des Mothers of Invention, délirante bande originale d un film laissé inachevé faute d argent (NDLR : ce sera finalement chose faite en 1987!), accompagnement sonore idéal pour extirper de la crasse ambiante et du désordre son habitation. Range range range range range, semble asséner le clavecin du thème Suivent Zolar Czakl, Sleeping in a jar et son discret rappel du thème de Nine Types of Industrial Pollution, quelques doo-wops délirants (Electric Aunt Jemima, The Air), l audition de Ian Underwood (I.U. whips it out), un God Bless America tourné en ridicule ainsi que le psychédélisme absurde et diffus de Green Genes (ma préférée), Project X et Cruisin for Burger. Le second disque contient la célèbre suite de dix-huit minutes, King Kong, un collage de prises en studio, extraits de concerts, délires, bruitages, sons déformés : un jazz-rock déjanté. En résumé, Uncle Meat est un album 2 2

23 étrange et unique qui vous soutiendra, tel un ami, durant les douloureux instants durant lesquels vous nettoierez votre logis. Attention, la récente réédition CD propose des plages bonus totalement dispensables! Nain Dien Frank Zappa Joe s Garage Act 1, Act 2 & 3 (1979) Parmi l impressionnante discographie de Frank Zappa, il existe une œuvre qui regroupe tous les styles que la musique ait enfanté depuis les années 1950 : surf, rythm n blues, garage, doowop, hard rock, disco, funk ou reggae. Cette œuvre, dont Zappa a délibérément précipité la sortie, s appelle Joe s garage. Il s agit d un tryptique, une ode ambivalente à la musique américaine, mélangeant les styles évoqués plus haut (parfois plusieurs au sein d un même morceau), le tout adjoint de polyrythmies d une complexité typiquement zappaïenne. Le personnage principal de ce conte musical surréaliste est le dénommé Joe. Tout commence dans le garage des parents de Joe quand celui-ci monte un groupe de rock, ce qui va par la suite lui jouer bien des tours. Le personnage secondaire (ou n est ce pas plutôt le véritable personnage principal?) est le Central scrutinizer, sorte de Big brother (1984) qui espionne tout le monde et s évertue à faire respecter la loi pour éviter les déviances de la société. Cette société, dépeinte par Zappa, où la musique serait interdite, la religion seule garante de la bonne morale et la sexualité un péril à encadrer, est une caricature poussée à l extrême des USA, dans les années 70. Lorsque Joe découvre la vie et tente de s émanciper, le Central scrutinizer le traque et le recadre afin qu il devienne un bon citoyen, discret et respectueux des normes sociales restrictives de cette société aliénante ; mais parce qu il a des peines de cœur, le Father Riley de la fameuse église de «Appliantology» explique à Joe qu il est un «latent appliance fetichist» (ne cherchez pas à traduire) et qu il devra recourir à des appareils pour assouvir ses besoins sexuels! Après des scènes d amour torride avec un robot mi-aspirateur mi-cochon (!) qu il «plook to death», Joe va en prison où il est abondamment violé, et dont il sort plus que jamais certain de son désir : il aime la musique et finit par s inventer des mélodies imaginaires pour échapper à la censure. Alors que l acte 1 est presque une œuvre en soit, l acte 2 et surtout le 3 sont des prétextes pour utiliser des prises de guitare live, et notamment de formidables soli de 6 minutes comme Zappa sait les libérer du manche de son instrument. Néanmoins, les illustrations des scènes olé-olé par de suggestives parties de Stratocaster ne sont jamais purement décoratives. Joe s garage, que beaucoup considèrent comme un opéra-rock, est en fait une revue socio-historique de l évolution des mœurs et l impact de la musique sur la société américaine, si chère à ce bon Franky ; tout l album possède une assez forte dimension politique, mais Zappa ne nous a pas 2 3

24 franchement habitués à la légèreté. Au travers des différents styles qu il aborde, Zappa nous raconte une histoire tour à tour drôle, pathétique, franchement vulgaire par moments (parfois à la limite de la p*rnographie), mais toujours grinçante et comme à son habitude, bourrée de bons mots, de messages et de clins d oeil (dont certains à ses propres morceaux). socioculturelles préformatées et de l église, de la mode et de la consommation, de l industrie du disque, etc. Cet album est une réponse de Zappa au décorum social et au consortium musico-industriel qui le repoussent dans un échec commercial, une grande censure et d acerbes critiques (NDLR : comme à la sortie de son précédent album Sheik Yerbouti, jugé trop ouvertement satiriste). Blessé dans son ego, de plus en plus attaché à son rôle de citoyen et à sa liberté en tant qu artiste, Zappa débute avec Joe s garage une série d actions explicitement politiques. Suivront entre autres l album Tinseltown rebellion, un autre pavé dans la mare et un engagement civique qui mènera Zappa devant le sénat, jusqu aux portes de l élection présidentielle. Greg le méchant Bien sûr, c est au travers du prisme de l humour, indissociable de la musique de Zappa, qu il brosse le portrait de cet univers cauchemardesque (rendezvous compte, la musique est interdite!). Des talk-shows télévangélistes aux groupies de musiciens, en passant par le fétichisme gay et ses clichés ou les critiques de rock, c est toute l American way of life qui est passée au girobroyeur pour nous en délivrer un pamphlet amusant, voire divertissant, mais qui interpelle néanmoins inévitablement. Finalement, l histoire de Joe n est autre qu une allégorie de celle de Zappa luimême, de ses problèmes rencontrés à cause de la musique, des activités 2 4

25 Zappa Over-nite sensation (1973) Est-ce que Zappa a connu le succès grâce à cet album? La réponse est Non, bien sur! Zappa n a jamais joui d aucun succès auprès de qui que ce soit d autre que ses fans ; la critique le dénigre constamment, la radio le boude intégralement, l intelligentsia le méprise généreusem*nt, bref Frank Zappa est du pain béni pour le conservatisme ambiant des USA des années 1970 et un bouc émissaire idéal du mal libertaire qui ronge la jeunesse. Cependant, il opère un virage que certains désigneront de «commercial» en sortant Over-nite sensation. Les morceaux sont plus courts, adoptant un format FM, les blagues de mauvais goût à la façon des Mothers de We re only in it for the money sont rangées, les extravagances sonores du jazzrock complexe de The grand wazoo sont engluées de mélodies pop-rock simplifiées. Bref, ce disque de Zappa est accessible à l ouïe sensible de tout un chacun. D ailleurs, c est le premier album de Frank Zappa à être certifié disque d or aux USA, si ça n est pas une preuve. Mais ce disque n est pas pour autant une trahison de ce vieux p*rnographe de Zappa envers ses fans. Si les sonorités s avèrent généralement moins farfelues, les textes sont toujours d une certaine bestialité. Des titres comme Dirty love ou Dinah-moe humm contiennent des paroles explicites assez osées pour un public non averti (mais le sticker «explicit content» n existait pas en 1973), et I m the slime est une satire caustique du pouvoir de la publicité télévisuelle. Des morceaux à l humour décalé comme Zomby woof ou Montana sont encore là pour nous rappeler la griffe Zappa, reconnaissable parmi des milliers. Enfin, les actes de bravoure guitare en main prouvent encore que Frank Zappa était en plus d un compositeur génial, un guitariste de talent ; le solo passé en fade out à la fin de I m the slime est tout simplement splendide et le pont de Zomby woof, sur des bends vibrants de Stratocaster (encore), est déconcertant. Si vous ne connaissez guère l œuvre de ce grand Monsieur qu est Frank Zappa et que votre oreille n est pas prête aux expérimentations les plus tordues, c est ce disque aux mélodies abordables et au groove toujours entre R n B et musique de cirque que je vous conseille pour aborder son immense discographie. Si vous connaissez déjà un peu Zappa, contactez-moi et je vous proposerai d autres albums à explorer ; et si vous connaissez bien Zappa, pourquoi perdez-vous votre temps à lire ceci? Greg le méchant 2 5

26 Bref, se battre pour une cause pareille Et pourtant, une fois dans sa carrière, il a émergé en montrant la voie, en 1977, pour Heroes. Son album tout en noir et blanc. David Bowie Heroes (1977) Existe-t-il, dans tout l univers, une cause plus indéfendable que celle de David Bowie? Novateur de génie, vampire, opportuniste, guignol affublé de tenues grotesques, artiste ultime, on peut lui coller des qualificatifs jusqu à demain, sans avancer plus sur son cas. En ce qui me concerne, l homme a commis quelques indispensables galettes (assez futé pour se protéger des tirs au canon) mais depuis bien longtemps, sa musique m indiffère profondément. Au moins autant que sa façon de coller à l air du temps. Dans le genre, seul Jimmy Page a su, avec autant d acuité, prévoir la météo du lendemain, et encore en l adaptant au format de son fond de commerce. Bowie, lui, a sauté à pieds joints dans tous les trains qui passaient (quitte à laisser derrière lui un océan de perplexité qu il a souvent payé cher d ailleurs). Ses années de purgatoire, où, douce revanche, il pouvait compter le fric que lui avait rapporté un des tubes les plus pourris des années 80 (pourtant pas avares en la matière) le sinistre et abominable Let s Dance. Atroce souvenir des types qui arboraient sa coupe de cheveux, à la rentrée 1983 Loin de la déflagration punk, exilé à Berlin avec son copain Iggy Pop, travaillant avec Robert Fripp et Brian Eno à ce que serait demain, Bowie avait imaginé un son glacial et funky à la fois, fait d éléments disparates, dont la seule fonction serait d animer un tout. Et ça marche! La première face vous attrape et refuse de vous lâcher. La leçon sera bien retenue par tous les pantins de la Cold Wave (vulgaires plagiaires, pas seulement capables d enregistrer un Diamond Dogs, pourtant bien rasoir) qui débouleront deux ans après. Et bien infoutus de recréer cette facilité mélodique, cet art du gimmick qui vous reste longtemps dans l oreille. Sans compter le son de guitare heavy funk, que tant de raseurs recycleront, sans pitié pour nos nerfs. Mais la grosse affaire, c est la longue suite quasi instrumentale qui attend de l autre côté. On est en plein territoire planant d un coup (grosse influence Tangerine Dream and co, quand même), pas loin de l ambiant, en tout cas dans un autre pays. Une multitude de climats apparaissent, disparaissent, se superposent, un koto pointe brièvement, ou un sax, ou trois accords de synthés menaçants, et le temps se fige. On reste scotché par tant de beauté accumulée, l art pour l art, véritablement. Syd Barrett envisageait une console de mixage comme une palette de peintre, voila bien ce qu on a fait de plus proche. Le tout se conclut (en queue de poisson d ailleurs) avec Secret Life Of Arabia, retour au funk franc et massif, à rebord tranchant, encore trop bien fichu 2 6

27 pour faire danser les co*cktails vulgaires, ceux qui passent les disques de David Bovoui, entre deux nanards. Fin du disque, 47 minutes plus tard. Et toujours rien compris, entre les entrelacs de la basse, le travail vocal, les traficotages électroniques Trente ans après, l arrêt de mort des seventies baba se porte toujours aussi bien, merci pour lui. Quant à Bowie, il est devenu rentier. Laurent chargeront du plus gros du travail instrumental, en plus de cordes et cuivres, le trio se consacrant essentiellement aux vocaux et aux harmonies. Ceux qui connaissent les deux albums qui suivront celui-ci pourront se sentir décontenancés par la musique proposée. Fondamentalement, il s agit d une pop/folk où dominent les vocaux aux arrangements et harmonies souvent riches voire complexes. Indéniablement, nous sommes en présence ici d une «sunshine pop», légère, fortement influencée par la musique West Coast qui, encore à l époque, avait toutes les faveurs. String Driven Thing ( ) «You re looking at beauty, but all that you re seeing is skin, Holding in the Machine that Cried» Le groupe, à l origine un trio, formé en 1968 à Glasgow (Ecosse), se constitue des époux Adams, Chris et Pauline, et de John F-Mannion. Cette même année, ils enregistrent un LP d'une douzaine de titres qui sera publié en 1970 sur un label confidentiel (Concord); disque pressé, semble-t-il, à une centaine d exemplaires. Aux trois membres du groupe sont adjoints, pour l enregistrement de ces douze titres originaux, tous écrits par Chris Adams, des musiciens de studio qui se Si on veut s efforcer à une brève description des morceaux qui constituent ce disque, alors July morning offre la meilleure introduction. D abord on y entend le piano qui fournit le thème et le tempo, introduction que poursuit la basse, les vocaux venant se poser sur un tapis de cordes avec quelques touches de mellotron. Suit Say what you like et son parfum doucereux et countrysant. Mais ce sont les deux titres suivants qui marquent l entrée de délicates touches psychédéliques. Magic Garden offre les tonalités d une pop psychédélique («Deep in my mind there is a magic garden...») que renforce la guitare fuzz en contrepoint du chant, des cuivres soulignant discrètement les harmonies vocales. Wonderful places est plus acid folk avec la voix aux contours éthérés de Pauline Adams et les nappes de mellotron. Le tempo, qui parfois s accélère sur le refrain, vient rompre le charme de ce qui aurait pu demeurer une simple ballade. S ensuit un morceau tout aussi contrasté avec des couplets au mid tempo qui soudain s emballe pour transformer la ballade en une sorte de country rock. Et toujours des cordes et cuivres qui 2 7

28 viennent revitaliser la mélodie. City man s illustre par l utilisation d une guitare fuzz et de la réverb sur la voix qui prêtent ainsi au morceau son visage rock en ancrant le tout dans un psychédélisme west coast tout à fait assumé. Another night in this old city ajoute une touche «tropicalia» avec sa guitare sautillante et sa flûte virevoltante. Quelques notes de piano annoncent le thème de That s my lady, aux lignes mélodiques qui interpellent l auditeur et où les cordes se font encore plus présentes. Ainsi se déroule le disque où se fondent différentes influences, folk bien sûr mais surtout west coast avec des touches de psychédélisme, comme sur No more you and I où la guitare adopte la sonorité d un sitar. Sur Lie back and let it happen, c est l omniprésence du violoncelle qui tire le morceau vers une sorte de folk rock très «british» dans ses ornementations orchestrales. Le disque se clôt sur une ballade à la calme mélancolie et où le choix des instruments (percussions) et le son de la guitare vous plongent dans une sorte de langueur estivale. Ce disque plaira aux amateurs de sons sixties, ceux que l abondance des arrangements et la diversité instrumentale peuvent enthousiasmer. Reconnaissons aussi le talent de ces trois chanteurs à organiser des harmonies vocales et celui de Chris Adams à composer des mélodies qui ne déméritent pas au regard de toutes celles que l on pouvait entendre en ces années 60 finissantes. Cela dit ce n est pas encore la flamboyance et la profonde originalité des deux disques qui suivront Mais pour cela il nous aura fallu attendre deux années pour retrouver The String Driven Thing dans une formation modifiée et un projet peut-être plus ambitieux! En effet, en 1972, String Driven Thing refait surface dans une formation renouvelée. Outre le couple Adams, celui-ci s entoure d un guitariste, bassiste, banjoïste, Colin Wilson et du violoniste Grahame Smith. En septembre 1972, ils entrent en studio à Londres et enregistrent un album éponyme produit par Shel Talmy (entre autres ingénieur du son sur le Something Else des Kinks en 1966). L album paraîtra sur le label Charisma (Genesis, Van der Graaf Generator.). Le disque se partage à peu près équitablement entre morceaux assez rock et ballades folks. D ailleurs c est l alternance sur les deux faces de ce double aspect de la musique du groupe qui frappe l auditeur. Mais la facette la plus étrange de la musique est offerte par le violon, présent sur tous les titres, qui donne une coloration si étrange et si inouïe aux compositions. Un exemple révélateur est celui de Circus en ouverture de la face 1 (paru en France en 45t dans une version abrégée avec Hooked on the road en face B, issu aussi de l album). Pris sur un tempo rock très enlevé, le violon immisce son glissando entre les voix. Les notes dégringolent sur les guitares et la basse, et le tout fournit une musique que l on aurait bien du mal à cataloguer encore aujourd hui (folk progressif, acid folk, doom folk... probablement un peu tout ça à la fois!). Sur cette même face deux ballades aux mélodies impérissables : Fairground qui débute comme une valse avec la voix diaphane et fragile de Pauline Adams, et puis, surtout, Easy to be free, à la doucereuse mélancolie renforcée par le spleen que ne cessent de faire grimper les notes du violon. Il faudrait aussi citer le dernier titre de la face 1, Jack Diamond, qui renoue avec une énergie plus rock. La basse martelant son rythme et le violon y allant de son solo échevelé, Grahame Smith faisant crisser ses 2 8

29 notes sur un rythme s accélérant. La face 2 est à l unisson de la précédente. Let me down est à l image de Circus. Violon omniprésent avec effets wha wha, guitares au rythme syncopé et voix qui se fraient un passage en progressant grâce à la basse. Une nouvelle ballade, Very last blue yodell, offre une dominante acoustique, arpèges et violon tissant une musique aux résonances écossaises. Suit My real hero, le dernier morceau de l album, aux contours plus rock avec son riff répétitif. Le disque se finit par deux titres aux intonations plus jazzy avec toujours les mêmes ingrédients instrumentaux : des ballades folks qui délivrent des effluves de nostalgie et qui semblent faire écho à la pochette de cet album qui laisse apercevoir des personnages étranges tout droit sortis d une scène d un film de Fellini. Ce disque est donc très éloigné du premier album qui, ancrée dans le son sixties et d une production un peu surchargée à mon goût, me laissait sur ma faim. Ici on est en présence d une musique réellement originale qui probablement s est nourrie des différentes directions que sut prendre la production anglaise qui lui était contemporaine. Mais le meilleur était à venir. Pendant l été 73 le groupe enregistre The machine that cried. Cette fois-ci un batteur est invité à rejoindre le groupe (Billy Fairley) et un autre bassiste (Bill Hatje) jouera sur trois morceaux. Dès sa sortie, cet album fut acclamé par la critique anglaise et est d ailleurs toujours considéré par celle-là comme un album majeur des seventies. Mais comme souvent, seul le public anglais ne s y est pas trompé et ce ne fut pas un succès comme ceux de Genesis ou Van der Graaf Generator, compagnons de label! Heartfeeder ouvre le disque, et dès les premières notes du violon et du violoncelle, qui posent les bases du thème, on sait que les musiciens vont frapper fort. Et effectivement ce morceau est réellement abrasif, le batteur apportant à la musique de SDT toute l énergie qu on devinait parfois contenue auparavant. Le final est étourdissant d intensité dramatique quand la voix se mêle au violon pour une envolée qui va crescendo. Suit une ballade très dylanienne, To see you, qui devrait emporter les suffrages de tous ceux qui goûtent au folk de Fairport Convention ou de Pentangle. Pour la première fois on peut entendre un solo de guitare sur Night Club et Sold down the river se partage entre folk/rock et inspiration west coast à la Airplane pour les voix et chœurs! On découvre aussi quel extraordinaire chanteur pouvait être Chris Adams. L album va ainsi poursuivre sa plongée dans un folk rock progressif (catégorie dans laquelle les Anglais continuent à le classer). Sur Two timin rama, c est Pauline Adams qui chante, mais il faut bien convenir que sa voix n a rien d extraordinaire et qu on ne peut la comparer aux grandes chanteuses de l époque, comme celles des groupes cités plus haut. Les deux titres suivants ne sont pas les plus marquants de l album, mais le groupe nous propose encore une musique où cohabitent les envolées du chant, les mélodies discrètement ciselées et le violon toujours éloquent. Sur The house, c est de nouveau Pauline Adams qui chante soutenue par le violon et la guitare acoustique. La fragilité de la voix et la mélodie pourront évoquer aux connaisseurs The Trees. Enfin, The Machine that cried est le titre qu il fallait pour terminer (presque) ce chefd œuvre ; dommage que le fade intervienne trop tôt, mais il semble que la version CD ait été allongée. L album 2 9

30 se clôt par Going down, ballade à la douce nostalgie qui nous amène à reprendre pied sur le sol que nous avions quitté depuis l intro de Heartfeeder. Après le départ du couple Adams, l aventure String Driven Thing se poursuivra sous la direction de Grahame Smith pour deux albums empruntant des directions différentes. Mais sans le songwriting de Chris Adams ce ne sera plus tout à fait la même chose, même si les albums en question méritent une écoute attentive. Le violoniste partira ensuite rejoindre Van der Graaf et poursuivra ses aventures musicales avec Peter Hammill, que ce soit en studio ou sur scène. [Les rééditions CD contiennent des bonus (démos, live, etc.) et The machine that cried est présenté comme la version que désirait le groupe et que Charisma avait dû, à l époque, leur refuser.] Harvest avec des graphiques et des objectifs à atteindre. Gare aux sauvages qui s aventureraient à vouloir faire leurs quatre volontés, la réponse serait immédiate, vous êtes virés pour non rentabilité flagrante, le client a d autres attentes. Parce qu aujourd hui on a des clients, pas des amateurs de musique, et on sait d avance ce qui est bon pour eux. Dommage, ils vont passer à coté de The Heads, alors. Un groupe de Stoner anglais (en gros la mouvance Cathedral, mais sans le coté lourdaud immuable) qui existe (existait?) par la puissance des amplis, et de tous ces machins qu on peut brancher sur la guitare, pour déformer, attiser, contraindre le son à se distordre. Dans les suraigus, ou les mégas graves, pour créer des ravages psychiques dans l oreille de l auditeur. Tenez leur album «The Time Is Now», rien d autre qu un bol d air à l ancienne mode. La basse et la batterie immuable, quelque part dans le fond, en gros l idée que Rahan devait se faire du quatre temps. Et sur le devant un tas de notes, solos, accords, empilés, entassés. Genre de bûcher prompt à s enflammer, et à contaminer joyeusem*nt tout le reste du morceau. Un minimum de vocaux aussi, mais juste pour dire de faire joli. The Heads The time is now! (1968) Quelle époque mon pauvre Monsieur, le rock est devenu un jeu bien balisé, Ca commence pourtant assez classiquement, «Delwyn s Conkers» pourrait être un démarquage de «Jumpin Jack Flash», le refrain plus accentué, et d un coup ça dérape dans une flaque d électricité, et tout le foutu câblage prend feu, lentement mais sûrement. Dans ces conditions, plus vous montez le volume, plus c est bon, les voisins appellent les flics, une émeute s ensuit, 3 0

31 l affaire rebondit à la rédaction. Et vous devenez une sorte de héros, un militant de ces morceaux qui ont le sens mélodique d une goudronneuse, et une façon de vous étreindre assez spéciale. En gros, la douceur câline d un Alien, la même facilité à vous tenir au sec. La filiation remonte assez loin et l héritage a été bien géré. D ailleurs un autre de leurs albums («Sessions») donnait dans une autre variante bruitiste, beaucoup plus inspirée par les expérimentations du Velvet Underground, et s apparente à une sortie en hélicoptère, un jour d orage magnétique, juste au dessus d un barrage. Et vous mijotez gravement. À classer dans la catégorie «Descendance de Blue Cheer» utilisation recommandée en cas d anémie musicale grave. Laurent 3 1

32 The Third Rail «Up in the morning at half past eight You can't have your breakfast 'cause you'll be late You tie your tie like a hangman's noose Ain't got time to drink your juice So you run run run run Yeah! you run run run run» Run run run S il est un genre que tout musicophile regarde avec suspicion, c est bien le bubble-gum: Archies, 1910 Fruitgum Co, Ohio Express, Lemon Pipers à prendre avec des pincettes! Derrière ces combos aux blazes bébêtes et saugrenus, se trouvent les noms de Jerry Kasenetz et Jeff Katz, leur label Super K et leur distributeur Buddah Records; se trouve aussi celui de Joey Levine, l auteur, ou co-auteur, d un nombre impressionnant de chansons, dont Yummy, Yummy, Yummy (Ohio Express), Try it (The Standells), Alone, (The Shadows of Knight). En l occurrence, c est lui qui nous intéresse, et précisément son partenariat avec le couple Artie et Kris Resnick, car cet ensemble est responsable d un unique et, bien sûr, légendaire album, paru en 1967, qui représente, si je puis dire, les lettres de noblesse de ce bubble-gum tellement décrié. Tous sont new-yorkais, et c est très certainement en référence au subway reliant le Bronx à Manhattan qu ils choisissent The Third Rail comme patronyme. Explication: un third rail est un caténaire, le troisième rail du 3 2

33 chemin de fer; il guide, lui, le courant électrique. Pourquoi maintenant l album se nomme-t-il ID Music, et pourquoi voit-on sur sa pochette un modèle de tête en plâtre avec en surimpression la photographie anamorphosée des trois musiciens?... Mais voyons, c est pour mieux illustrer cette ID (idea) qui est la leur! Tout cela est astucieux et subtil me direzvous, mais le contenu? Hein? Et bien, l on est surpris de constater, grâce à la réédition de Revola réédition agrémentée d un livret où je puise allégrement nombre d informations! à quel point cette œuvrette est brillante. Du bubble-gum, certes, elle possède l exubérance et la légèreté, mais les orchestrations sont magistrales, les gimmicks inventifs, et moult compositions démontrent l effort des musiciens pour parvenir à plus de lyrisme. Passons à l historique. son oncle, Allen Stanton, un important arrangeur de Columbia, connu pour sa production du Fifth dimension des Byrds. C est lui qui le présente aux éditeurs de Broadway, et Levine à tout juste seize ans lorsqu il rejoint le personnel de TM Music. Curieusem*nt, alors qu il est assez doué comme parolier, il se voit assigner la tâche de compositeur. Il collabore, entre autres, avec Chip Taylor et Doc Pomus, mais bientôt Artie Resnick devient son co-équipier favori. Artie Resnick, 28 ans, n est pas un débutant; il détient à son actif des tubes comme Under the boardwalk des Drifters, et Good lovin des Young Rascals. Depuis peu, il écrit aussi avec son épouse, Kris, pianiste chevronnée qui possède un grand sens de la mélodie. Juste avant qu il ne rencontre Resnick, Levine a sorti sans succès, un premier single, The Out of Town: une chanson plutôt vindicative à l égard des politiciens «prêts à tout pour se faire élire». De fait, d autres titres de Third Rail, derrière leur facétie, seront d ordre politique et témoigneront d un mordant qu il exprime ici sans ambages. Resnick, lui, est plus à l aise et plus habitué aux chansons d amours, aux ballades. Levine, né en 1949, montre très tôt de grandes aptitudes musicales, notamment pour la composition et le chant. Mais il est plus intéressé par le Brill Building que par le Carnegie Hall, aussi son père, qui est chef d orchestre, le confie au bon soin de Quand ils commencent à écrire ensemble leurs thèmes ne varient pas, ils les expriment seulement de manière plus raffinée, plus sarcastique. On peut en avoir un aperçu avec leur single All s quiet on West 23rd. Paru sur Smash Records en avril 1967, sous le nom de Jet Stream, ce morceau est en fait un décalque de For what it s worth 3 3

34 sur lequel est transposée l histoire du meurtre de Kitty Genovese, meurtre qu évoque aussi Phil Ochs dans Outside of a small circle of friends. Oui! disons le haut et net, Levine et Resnick picorent allégrement le style des autres, oui! ce sont des faiseurs. C est par l intermédiaire de Ted Cooper, un ami de Resnick, que le trio signent bientôt, chez Epic, sous le nom électrique qui est le leur. Et comme s il fallait une preuve supplémentaire de leur talent d imitateurs, voici que déboule au début de l été Run Run Run, un pur plagiat des Beach Boys. Ce sera leur meilleur score: 53 ème au Hot 100 du Billboard, il aura aussi l honneur de figurer sur le dernier volume de Nuggets; un résultat qui eut sans doute été meilleur sans l insertion, sur fond de menuet, d un rapport boursier où les chiffres concernent les maladies mentales, les ulcères, le chaos général et la «Great society» du président Johnson. de pochette qualifiant l œuvre comme «leur tentative pour approcher Le cœur des ténèbres de Joseph Conrad» est évidemment espiègle et fallacieuse. «Artie, nous dit Levine, avait un bon sens de l humour, ses textes avaient une ironie voilée, ils avaient toujours un double sens». Dans l ensemble, le son, velouté, et les emprunts classiques doivent beaucoup, eux, à Kris Resnick. «Elle avait un style différent du mien, se rappelle Levine, mais quelques fois le mélange de nos talents donnait des choses intéressantes, que nous n aurions pas écrites l un sans l autre». Leur collaboration, d ailleurs, n en demeurera pas là: ils fourniront d autres tubes, notamment Chewy Chewy à l Ohio Express, Shake à The Shadows of Knight et Quick Joey Small au Kasenetz Katz Singing Orchestral. Epic offre toute liberté, toute latitude artistique à ses poulains, mais réclame un second hit. Le prétendant, qui échoue, est Boppa do Down Down, un ronéotype de Papa-Oom-Mow-Mow des Rivingtons. Ted Cooper les incite à pousser cet avantage en enregistrant un album entier. Ils s y attèlent avec ardeur et conviction; du moins Levine, qui le conçoit comme une unité. Resnick, lui est peut-être moins candide, et sa note Peu après, en octobre, paraît l album, qui, lui aussi, ne rencontre pas le succès espéré. Le public est déconcerté par cette pop à la fois facile, précieuse et omnicolore. À une 3 4

35 époque dit Dawn Eden dans ses notes de la réédition Revola où la radio se polarise entre une sensibilité AM ou FM, où la pop représente l antonyme du rock, The Third Rail apparaît trop cérébral pour l une, trop rusé pour l autre.» Aucune tournée ne vient renforcer la promotion. La seule apparition du groupe à lieu à Cincinnati; dans cette ville, plus qu ailleurs, Run Run Run à très bien marché. Ce jour-là, le groupe arrive de New- York, augmenté de Mark Bellack (l un des co-auteurs de Levine) et soutenu par l un des combos locaux également à l affiche. «Nous avons chanté trois de nos chansons, raconte Levine, puis un paquet d autres, Mustang Sally par exemple, le genre qu un groupe local pouvait interpréter. Il y avait pas mal de monde. C était plutôt surprenant et amusant.» Après leur prestation, l organisateur vient les trouver et leur annonce: «Artie me dit que vous êtes les gars de Jet Stream. Voulez-vous revenir sur scène? Nous pouvons annoncer: Invité surprise: the Jet Stream». «Ainsi, dit Levine, nous échangeâmes nos vêtements. Je mis ceux de Marc, Marc mit les miens. Et je pense qu Artie dut mettre ceux de Kris». Deux autres singles émergent en 1968: It s Time to say goodbye/overdose of love et The shape of things to come /She ain t no choir girl. Ils ne soulèvent aucun enthousiasme; ce qui est dommage et injuste pour la face B de ce dernier, mon titre fétiche: une joyeuse et ébouriffante parade à laquelle Levine et Resnick croyaient beaucoup. C est tout pour l historique, en prime, voici quelques commentaires sur le contenu de l'album: 1/ Run run run. Certes, c'est du copier-coller, de l habilement ficelé, mais c est fun et bien balancé. 2/ The ballad of general Humpty. Tambour, chœurs, trompette, piano, le tout, comme il se doit, un rien militaire. C'est doux et pétillant, on pense à My friend Jack de The Smoke ou à un titre de Wallace Collection. 3/ Is Mr Peters coming?. Une batterie martelante, un sitar couinant, des chœurs folâtres et une once de gazouillis électroniques: un parfait co*cktail de pop, pulpeuse, gouleyante, chamarrée. 4/ Swinger. Portrait d'une swingueuse délurée: «She is a wild one, Chasing a wild fun, And don't stop for no one». L'intro au violoncelle est romantique, capiteuse, ouatée, la suite est plus night-club, psyché mais bon chic bon genre. 5/ Jack Rabbit. Sock it to me, baby!. De la blue eyed soul roborative et bien cousue, avec piano, petit orgue aigrelet, congas feutrées, fuzz et chœurs zélés. «Run rabbit, run, oh yeah, Run to the woods, cause I got the goods on you». 6/ Boppa do down down. Ronéotype, donc, de Papa-Oom-Mow-Mow, tout aussi farfelu que son antécédent et joliment carrossée de cuivres et de percussions. Les paroles sont évidement absurdes: «I was sleeping alone on my new machine, just big in a air in the country scene, till I saw a rat leaves a factory, and I hear it sings this melody: Boppa do down down» 7/ From a parachute. «In a parachute I float through the air, Slowly swinging to an fro, From my parachute I just don't care, Everything seems small 3 5

36 down there bellow». Les atours sont ravissants, piano, flûte et mille adornements; les paroles semblent tout aussi naïves et gracieuses... mais... «the green is changing to red», la vision enchanteresse cède la place à un cauchemar guerrier. 8/ Invisible man. Une narquoise petite ballade servie sur air de fugue, couinante, pimpante, ramagée de flûte, de sitar, de crécelle, de chœurs mignards et mesurés. L'homme invisble, c'est monsieur tout le monde, «qui sort de chez lui à sept heures dix, achète les journaux et prend le train avec les autres hommes invisibles». 9/ No return. «See the men with masks on their faces, gleaming instruments in each hand, No return, Bright light shining from above you, still in shock you don t understand, No return». Terrible histoire d un type étendu sur une table d opération. Levine respire profondément au début du morceau; il raconte qu à force, les prises en studio se prolongeant, il finit par s'évanouir et tomber du tabouret où il était juché. Pimentée de sitar, de clavecin et scandée de «ouah» et de «oh», cette petite chanson est d un psychédélisme suave, capiteux et ondulant. 10/ Dream street. Le titre le plus anglais, bondissant, sémillant, amiaulant, serti de violon, de violoncelles, de xylophone, de piano, de tambourin, de chœurs futés et diligents. «Dream street what things you're advising, Dream street we buy your advertising, Dogs are in kitchen and people who flight in to give us advice, Sweet in your bread butt, then smoke us to death while we're smelling so nice»... les paroles sont humoristiques. 11/ Overdose of love. Ce morceau et les suivants font partie des bonus et correspondent aux deux singles issus en Celui-là avec sa coloration soul et son ardeur radieuse se veut réjouissant et y réussit fort bien. 12/ She ain't no choir girl. Je l'ai dit, je le répète: c'est mon titre fétiche. Inspiré sans doute par The Left Banke, c est une pure folie, truffée d'apartés, de bruitages et d'annonces oscillant entre le cirque et le music-hall. «She says goodnight to her mother who s reading the Good Book, She says: Tick goes on as the chair that's rock you, Please dont play up for me mother, I m going to choir, you can retire and I let myself in, She ain't no choir girl, no! no! she ain't no choir girl». Non! non! elle vit dans un soussol avec une foule de gens bizarres et même un éléphant que l on entend barrir. 13/ It's time to say good bye. «The sun is behind the hill, Lonely is the sky, It's time to say goodbye». Bongos, guitare, chœurs, violons... un belle romance, teenage et mélancolique à souhait. 14/ The shape of things to come. «Let the old world make believe, it's blind and deaf and dumb, But nothing can change the shape of things to come». Une reprise, très garage, d'un titre de Barry Mann et Cynthia Weill et un succès de Max Frost and the Troopers; la voix de Levine se fait plus rugueuse, plus limailleuse; j'adore les stomps très marqués du rythme et la petite envolée du Farfisa. That s all folks! Carcamousse 3 6

37 Pour avoir grandi dans les années 70, bien trop jeune pour m intéresser à la musique, je me demandais souvent ce qu était ce monstre, ce repoussoir parfait, la «pop». En faisant un rapide tour d horizon des conversations adultes, j étais arrivé à l idée d une infamie, crachée par des dégénérés, chevelus, drogués, crasseux, dont le seul talent était de faire un bruit infernal. D ailleurs, le boucan en question, où l entendre? Il devait être tellement monstrueux qu on l enfermait, loin des oreilles chastes et pures. Plus que tout, la guitare électrique semblait cristalliser l abjection. Comme s il était impossible d en tirer du beau et du bon. Qu auraient donc dit ces gens, si dans leurs oreilles bien closes, on avait déversé un peu de potion magique, de suc de bonheur, d élixir de jouvence... La voix de Shirley Kent, par exemple. Shirley Kent est l ex-chanteuse de Ghost, groupe anglais originaire de Birmingham, dont l unique album (When you re dead, 1969) recelait des perles inusables, mais illustrait déjà un clivage évident. Au milieu de compositions d une exceptionnelle qualité, très West Coast certes, mais dotées d une forte identité, se glissaient des morceaux beaucoup plus folk et méditatifs, illuminés par des Shirley Kent parties vocales d une cristalline pureté, un peu irréelle. Comme beaucoup de comètes de ces années-là, Ghost a très vite disparu, et celle qui vous charmait sur un titre comme Hearts and flowers, aurait pu s évanouir dans une quelconque banlieue, et se contenter de fredonner en passant l aspirateur. Gloire à elle, donc, pour avoir (en 1975) réalisé LE modèle du disque solo (Fresh Out, sous le pseudonyme de Virginia Tree) resté, hélas, complètement obscur (les marchands de superlatifs diraient «culte», expression imbécile et typiquement adaptée aux années marketing, qui sont les nôtres) tant il force l admiration. Fortement coloré d acoustique, d un haut niveau technique, l album, outre le talent de vocaliste plus haut évoqué, n est jamais handicapé par une gênante baisse de régime ou un morceau faiblard. Influences folk et jazz (la vraie famille musicale de la chanteuse) s y télescopent avec grâce, donnant l impression d être un témoin privilégié, dans une boîte enfumée, vers trois heures du matin. On touche au génie dans la reprise orchestrale du I ve got to get to know you de Ghost, titre uniquement sorti en single d ailleurs. 3 7

38 Collection de ballades graves, sorte de journal intime doux-amer, je suis persuadé qu aujourd hui tout ceci ferait un carton, dans le sillage d une Diana Krall par exemple, sans toutefois le coté sucré, parfois limite, qui émane de la jolie Canadienne. On trouve, de nos jours, facilement le disque de Ghost dans le commerce, Fresh out attendant toujours son heure, et semblant clairement avoir été renié par son auteur (cf. le site perso qui oublie soigneusem*nt d y faire allusion. Dans un courrier de 1998, par elle adressé au Record Collector, elle annonçait clairement ce qu elle pensait des petit* malins pirateurs. Une réédition de ce magnifique recueil simplifierait bien des choses, cas typique de merveille interdite, et dont les «décideurs» sont incapables de comprendre qu elle attire des convoitises. Laurent 3 8

39 Ray Davis, Other People s Lives Il m est encore aujourd hui difficile d écouter les sorties discographiques de ces anciennes gloires sixties. Trop peur d être déçu, de devoir admettre l évidence, qu il s agit d un temps révolu que je n aurai malheureusem*nt jamais connu. Et pourtant certains réussissent parfaitement là où d autres se scratchent lamentablement. Ce fut le cas pour le Modern Times de Dylan, une vraie réussite. Mais là, il s agit de Sieur Davis, le mec qui nous a pondu des dizaines de pépites, de l intemporel You really got me au sublime I m not like everybody else. C est donc avec une crainte non feinte qu on aborde Other People s Lives (d autant que ces dernières productions nous envisageait le pire). Mais voilà, Ray, dès les 2 premiers titres, annonce la couleur. Things Are gonna change et After The Fall, sous une production moderne, pose sa voix sur deux bons morceaux enlevés. On retrouve ensuite tout au long de l album cette majestueuse pop kinksienne, où flirte l innocence et se promène sa mélancolie, comme ce somptueux Creatures Of Little Fatih. On regrettera cependant la longueur de l album et ces deux ou trois morceaux inutiles (Other people s lives, Stand up comic) qui veulent conquérir les ondes FM. Dommage. Comme cette récurrence de Sax. N empêche, on gardera en tête ses ballades qui vous blottissent dans des cieux bien loin de toute triste réalité, Next Door Neighbour, et cette collection de petites histoires futiles comme on les rêve. Ne reste que la question cruciale à un tel album : quel est l intérêt d un tel opus de nos jours, surabondé de pop mielleuse et sans saveur? Si ce n est tout bonnement le plaisir. Une galette à passer un soir d hiver où le blues vous gangrène les neurones. Engloutis dans votre fauteuil, casque sur les oreilles, la voix de Ray Davis en fond sonore, un Jack Daniel s dans une main, la pile de EP des Kinks dans l autre. Et s évanouir sous cette quantité évanescente de perles sixties à la richesse infinis. Merci Mr Ray Davis. Sincèrement. Lou 3 9

40 Analogy Analogy (1972) Sur la route sinueuse du rock n roll, plusieurs groupes auraient mérité de connaître un destin brillant, une large reconnaissance, un autre statut que celui de groupe culte, cette Croix de Malte de ceux qui ont été sacrifiés sur l autel de l oubli: Analogy est l un d eux. Heureusem*nt, Carcamousse, le d Artagnan de verbe, et Nain Dien, votre nabot préféré, sont là pour combler ce vide, corriger le tir et réparer cet affront. Analogy est un groupe allemand basé à Varèse, près de Milan, en Italie. Son premier nom est Joice. Il se forme à la fin des années 60, probablement en Il comprend Jutta Nienhaus (chant), Hermann-Jürgen Mops Nienhaus (batterie), Wolfgang Schoene (basse), Martin Thurn (guitare, flûte, bongos), Nicola Pankoff (claviers). Leur premier single, Sold out/god's own land (orthographié Yoice au lieu de Joice), paraît en 1971; Wolfgang Schoene y tient la guitare rythmique et la basse échoit à Mauro Rattagi, musicien italien. Ces deux titres sont signés par Martin Thurn et un certain Falenito. Joice change de nom, adoptant le plus convaincant Analogy, et c est ainsi intitulé qu apparaît, en 1972, sur un petit label italien (Produzioni Ventotto), leur premier LP. 4 0

41 Le line-up a un peu changé : Wolfgang Schoene a repris la basse, Mauro Rattagi est parti (mais il figure encore sur la pochette), et un autre italien, Rocco Abate, joue de la flûte. Non seulement cet Analogy se fait remarquer par l audace de sa pochette et celle du poster qui est à l intérieur! mais aussi par la qualité de son contenu. Nain Dien: La formule est simple et fonctionne à merveille: la magnifique voix de Jutta guide l auditeur à travers les climats sombres et planants instaurés par la guitare de Thurn et l orgue de Pankoff. Carcamousse: Ce qui me soulève, c est ce lyrisme étincelant et barbare que confère la frappe tonique et tournoyante du batteur, ainsi que le soprano princier de Jutta. Ces climats sombres, dont tu parles, évoquent pour moi l âme des Niebelungen, j y vois des guerriers vêtus de lourdes armures, des citadelles perchées sur des collines, des forêts magiques et profondes, des étangs noirs illunés, des cavernes où dorment les dragons. Nain Dien: Ce Dark reflections qui ouvre l album, possède une intro et une mise en place rythmique typiques du rock progressif. que l on peut dire que ce sera une constante. Carcamousse: Fichtre! Mais il reste son timbre de Valkyrie, de dompteuse de loups, triomphante, superbe, et les inflexions érotico-félines dont elle pimente le refrain «Dark reflections, oh, yeah!», de quoi faire bander une momie! Nain Dien: En fait, tous les critiques s accordent à déclarer que l essentiel n est pas le texte mais la musique; ainsi Weeping my endure, le titre suivant, n en contient pas. Carcamousse: Jutta émet seulement des modulations aiguës, éthérées, filamenteuses. La particularité de ce titre est son alternance de riffs lourds et crochus et la féerie de ses modulations clairement soulignées par la frappe en pointillé des cymbales. J adore le petit solo d orgue, véloce et jazzy, qui déboîte sur la fin. Nain Dien: Je trouve assez similaires les deux instrumentaux suivants, Indian meditation et Tin s song, dans leur construction avec le thème de l orgue mis en avant. Le claviériste, avec la voix de la chanteuse, reste, pour moi, la grande force d Analogy, qu en penses-tu mon cher Carcamousse? Carcamousse: Oui! Oui! Oui! Ces arpèges hospitaliers, doux et pimpants, alternant avec une phrase mélodique plus heurtée, menée par l orgue et la batterie, puis cette brusque rupture de tempo installant une ambiance radicalement différente, ici funèbre, omineuse, tragique. Nain Dien: Les paroles sont mystérieuses et l accent de Jutta est aussi brumeux que leurs sens, je crois Carcamousse: A cette différence que le second est doux et paisible et, à mon sens, anodin, alors que premier est lourd et envoûtant: la frappe gyroscopique du batteur développant cette vigueur incantatoire, ce caractère tribale qui est le cortex de cette méditation. Et ce n est pas exactement un instrumental, cher Nain Dien, puisque Jutta entonne quelques «ouh! ouh! ouh!» mi-squaw micantatrice. 4 1

42 Nain Dien: Et arrive Analogy, LA pièce maîtresse, LE tour de force de dix minutes alternant passages atmosphériques (dignes de Pink Floyd période Pompéi), psychédélisme, climats sombres et voix mâtinées d émotion. Trouves-tu aussi, Carcamousse, que ce morceau est une grande réussite? d ado survoltée des plus pittoresques avant que de déclamer un «do do do do do do do do do you really think so?» tout aussi pittoresque! Martin Thurn s élance dans un solo de guitare que dédouble et juxtapose, avec un léger décalage, la magie du studio, et Nicola Pankoff le relaie pour un parcours plus alerte et plus jazzy. Carcamousse: C est le plus ambitieux, le plus fulgurant. Une nappe d orgue se déploie, rampante, bourdonnante, menaçante, parsemée de notes fines, claires, perlées, mystérieuses, puis monte, crescendo, la frappe rapide et binaire de la batterie, accentuée par la basse, et l orgue, toujours compact, arde, enfle, rugit, et la guitare, rêche, corneuse, se cramponne à ce rythme haché et compulsif, et le riff jaillit, ta... ta-ta-ta, superbe, impérial, escorté par les roulis glapissants de l orgue et les déferlements fougueux de la batterie. Puis c est la bonace, l ambiance Pink Floyd, et s arc-boute la voix de Jutta «Where did you go, where did you stay», et l orgue enfle de nouveau et la frappe s accélère, éperonnée par une basse martelante, et la tempête revient, rompue elle aussi. Enfin, le spleen s évanouit, se délite, la guitare broie des notes grinçantes et hasardeuses qui bientôt s interrompent pour laisser place aux feux follets de l intro, puis à des accords d orgue cléricaux et fuligineux. Nain Dien: The year s at the spring est le titre que je préfère sur cet album. Je le trouve groovy et sautillant. Savais-tu que ce morceau recycle les vers de Robert Browning, un poète et dramaturge anglais du dix-neuvième siècle? Carcamousse: J ignorais. Mais c est vai qu elle pogote cette chanson, Jutta la chante comme une Siouxsie avant la lettre et pousse un petit cri Revenons à la pochette: l une des plus extraordinaires d un genre exploité trois ans auparavant par Elephants Memory (aux U.S.A.) et Velvett Fogg (en Angleterre). Remarquons les poses très étudiées des musiciens pour cacher leur pudenda, ainsi que l humour de ses poses: Hermann- Jürgen Mops bien camouflé derrière son tambour car il est nu comme un tambour! ; Jutta, telle une ondine effrontée, perpendiculairement installée contre son rocher; Martin Thurn brandissant substitutivement sa guitare. Remarquons aussi les écharpes que portent trois d entre eux, écharpes dont on se doute qu avant le déclic final ils ont ceint leurs reins. Le poster, volcanique, se passe, lui, de l alibi artistique du body-painting pour exploiter la plastique du corps de Jutta, et l on imagine l émoi de l adolescent ayant acheté l album, sa hâte fébrile à déplier ce papier, son cœur battant un peu plus vite. Mais Jutta, ainsi exposée, offre une attitude très pudique, et son regard, qui évite sciemment l objectif, donne à toute sa personne un air de déesse antique. Carcamousse & Nain Dien 4 2

43 jjjjjjjj 4 3

44 Voyez comme il est facile de déraper, et de se draper dans les références, en passant à côté de l essentiel. Leaf Hound Growers of Mushroom (1970) Si pour certaines sommités, le statut de légende est établi au bout de trois singles, d autres obtiennent la reconnaissance longtemps après leur mort. Dans un concert d éloges bien orchestrés, parfois mérité (Clear Blue Sky) souvent par les marchands de disques, pour un produit contestable (Granicus). Et d autres se voient fermer toutes les portes au nez, mêmes détenteurs de qualités indiscutables. On voit alors ressurgir leur nom au coin d une discussion thématique, en référence, et puis à nouveau le silence. C est le cas de Leaf Hound et de son Growers of mushroom de Déjà, au niveau CV, ils pourraient lever la tête. Si le passage du chanteur et du guitariste dans Brunning Sunflower Band (obscur combo de blues, qui comptait dans ses rangs, le premier bassiste de Fleetwood Mac) donnait la caution roots, les autres venaient de Black Cat Bones. Groupe qui abrita un certain Paul Kossof (qui ne joue pas, d ailleurs, sur leur bien médiocre Barbed wire sandwich, remplacé par le gratteux de Foghat, autre conglomérat de galériens moustachus, à qui la fortune finit par sourire). Problème, une belle pochette psychédélique et un titre pareil (Cultivateurs de champignons) à l époque, ça devait vous attirer une clientèle de babas et de têtes farcies à l acide, à la recherche de bonnes vibrations... Et qui tombaient sur un remarquable disque de hard rock, trade mark in Led Zep première façon (ça aussi, on le leur a assez reproché) sans rien de planant, aucun clinquant, pas de morceaux de vingt minutes farcis de solos chiants, bref trop de qualités et pas assez de défauts pour bien coller à son époque. Quand on en vient à la musique, la voix de Peter French est superbe (très David Coverdale), la guitare connaît son affaire, les compos vous rentrent dedans sans chichis aucun (c est basique, certes, mais pas aride) l ensemble (enregistré en onze heures) est cohérent de bout en bout, mais bien ciblé quand même. Il est facile de comprendre la méprise qui en a résulté. Si bien qu aujourd hui, la chose se retrouve être le plus rare des Decca anglais, comptez 800 euros pour un original. De toute façon, à sa sortie (au bout d un an) Leaf Hound n existait plus. La polémique perdure encore de nos jours. Certains adorent (et ne loupent pas une occasion d aborder la question), d autres persistent à lancer des tomates, mais l objet peine toujours à trouver sa place au sein de la confrérie des groupes cultes. Pourquoi Savoy Brown, pourquoi Free (je vais me faire des amis) mais Leaf Hound, non, la croix des vaches, la marque de l infamie. Et la reformation 4 4

45 de l an dernier, avec un Peter French esquintant les vieux morceaux, et courant après sa voix, ne risque pas d arranger les choses. Au niveau réédition, en tout cas, c est le paradis. Repertoire a fait un très bon travail, et a même exhumé deux inédits, dont l un (It s going to get better) relégué en face b d un single, avait tout pour faire un hit. Ecoutez à l occasion, ça vous fera au moins une occasion de plus de détester Slade et son relent de graillon. Laurent imaginant une autre musique que celle proposée. Le problème est qu au fil de l écoute on s emmerde! Tout d abord, certains passages de Growers Of Mushroom sont du réchauffé. Par moments, on jurerait entendre certaines sessions de Led Zep. Mais, surtout, le disque ne décolle jamais par ses trop grandes similitudes entre les différents thèmes. On a affaire ici à une collection de morceaux dans lesquels le groupe fait étalage de ses qualités techniques. Un déluge de guitare sans âme. Même le chant devient pénible à la longue. S il existe un défaut pénible chez les collectionneurs de disques, c est bel et bien qu au nom de la rareté, on vous ferait passer n importe quelle galette indigeste pour un chef d œuvre intemporel et indispensable. Évidemment, certains opus sont de vraies belles découvertes. Tenez, prenez ce groupe psyché Us, Stack qui a sorti un album mirobolant en 1969, Above All. Mais, franchement, entre nous, aussi bonne la musique soit-elle, je ne mettrais pas trois payes pour un disque qui finalement ne vaudra jamais le premier Hendrix. Il en va de même pour Leaf Hound. Comme l a très bien écrit Laurent, il s agit sans doute du plus rare 33 tours sorti chez Decca. Un non-succès de 1970 parmi le tsunami de groupes progressifs dégueulant ses vagues de claviers immondes. J avoue avoir été déçu par l écoute de ce disque. Sans doute parce qu à force d entendre les légendes dithyrambiques au sujet des Leaf Hound, mes oreilles et mon subconscient ont dû être affectés, Néanmoins, Growers Of Mushroom est tout de même plutôt un bon disque, avec de très bons moments comme la plage deux Sad Road To The Sea où le groupe respecte à merveille l enchanteur couplet-pont-refrain, ou encore le long Work my body et ses parties de guitare bien tranchantes et terriblement efficaces. De plus, Laurent a raison, la réédition CD est indispensable pour tout amateur de ce groupe. La face B d un de leurs singles, It s going to get better, est tout bonnement excellente. Dans ce titre, le groupe se promène tout au long de cette balade ; la voix est plus posée ; la guitare y est magnifiquement distillée et l incursion du piano donne une nouvelle orientation au son des Leaf Hound. Ce qui démontre que cet album aurait pu, avec plus de diversités, devenir un classique des seventies. Au final, Growers Of mushroom est un très bon disque, certes. Mais pour le même prix, vous pouvez avoir un EP Français des Creations. Et là, il n y a pas photo! Lou 4 5

46 Un label en Ohr Si l appellation «krautrock» semble désormais être une dénomination «passe partout» qui recouvre à peu près tous les genres de musique dès lors que les groupes ainsi désignés sont allemands (voire autrichiens et même parfois suisses), il peut être fait un usage plus limité, plus estreint de ce terme. Il paraissait désigner, quand il fut utilisé pour la premièree fois par des journalistes anglais, certaines formes de musique très originales, inouïes (au sens propre du terme) en provenance, de fait, d Allemagne de l Ouest. Ses créateurs pouvaient se revendiquer comme issus d une forme d expression qui, bien qu ancrée dans le rock et les mouvements psychédéliques américain et anglais, puisait aussi son inspirationn dans les musiques européennes du XXe siècle et leurs prolongements électroniques et expérimentaux ainsi qu aux sources du jazz le plus moderne et des musiques dites savantes. Un second aspect tout aussi remarquable de cettee nouvelle dimension musicale est la création de nouveaux labels, certes issus ou créés par des labels déjà existants, mais qui vont se consacrer exclusivement à la diffusion d une musique radicalement neuve, qui ne tardera pas à bouleverser les codes esthétiques (musicaux et graphiques) de l époque. Parmi ces labels, plusieurs se feront connaître par leur longévité (par exemple le label Brain) et surtout par la qualité des musiciens et des œuvres qu ils vont promouvoir (un grand nombre de ces productions n ont rien à envier à celles anglo-saxonnes). Ohr est peut-être le label le plus symptomatique de cette «révolution» sonore. D abord par son ancienneté, puisque créé en 1969, et aussi par la forte originalité de sa production on peut dire que c est ce label qui va initier toutes les autres musiques à venir sur les labels qui seront créés à sa suite. Ohr fut créé à l initiative du label ouest allemand Metronome qui demanda au producteur Peter Meisel et à Rolf-Ulrich Kaiser (un journaliste rock qui allait jouer un rôle essentiel dans le développement de nouveaux labels qui diffuseront cette nouvelle musique) de regrouper au sein d une même entité 4 6

47 les groupes ou musiciens les plus représentatifs d un nouveau son (la scène underground berlinoise y fut bien représentée avec des groupes tels Tangerine Dream, Ash Ra Tempel, Amon Düül). De plus il fut demandé aux producteurs de mettre l accent sur les pochettes de disques en essayant de promouvoir une unité de ton, de graphisme à partir de photos d œuvres créées par l artiste «industriel» Reinhard Hippens (et ce pour les cinq premiers disques où une thématique commune peut être observée). Le label s imposa ainsi par sa volonté de se démarquer des productions de l époque en créant quelque chose d immédiatement remarquable et repérable par les compositions graphiques et photographiques et aussi par la stupéfiante originalité des œuvres musicales publiées. Tous les genres se retrouvent sur le label Ohr. Le psychédélisme le plus inventif et expérimental avec Tangerine Dream et son Electronic Meditation où Klaus Schulze fait résonner sa batterie démentielle et où une guitare «freak out», jouée par Conrad Schnitzler, nous emmène loin dans des territoires encore inexplorés en 69 (même si le Floyd ou la Machine Molle étaient déjà passés par ces chemins tortueux et sinueux, Tangerine Dream explore plus loin encore les sonorités les plus inouïes). Ceux qui ne connaissent de Tangerine Dream que le rock planant synthétique des années post 1973 risquent fort d être surpris et déroutés par une telle musique. Signalons quand même de Tangerine Dream ce monument, cette pierre angulaire du krautrock et de la musique que l on dira planante plus tard, je veux dire le double album Zeit. Il y a là un condensé de ce que la musique de ce début des 70 s a produit de mieux. Audace, inventivité, contraste entre diverses traditions qui se rejoignent dans une même exigence de musicalité et de découverte, d exploration d un nouveau langage musical et de refus d abdiquer devant des modes vite créées et vite consommées par une jeunesse avide de nouveautés. Klaus Schulze Il y a aussi le rock teinté de world music (dirait-on aujourd hui) de Embryo qui avec Opal nous entraîne dans un voyage psychédélique aux accents moyen-orientaux voire africains. Annexus Quam qui allie le jazz le plus free avec les expérimentations des musiques improvisées au long de morceaux qui étirent leur sonorité sur des faces presque entières. Et puis Xhol Caravan qui, avant la publication de ses deux albums sur Ohr, avait publié en 1969, Electrip, un disque qui proposait une musique assez proche du Soft Machine de Third. Pour Ohr, 4 7

48 les musiciens poursuivent leur ouvrage entre expérimentations sonores, longue plage pour orgue solo sur Motherf*ckers GmbH et rock jazzy même s ils ne réussissent pas à renouveler et même à faire mieux que sur leur premier album paru sur Hansa/Ariola en En 1970/71 Guru Guru publie ses deux albums les plus radicaux (UFO et Hinten) avec ce guitariste incroyable, Ax Guenrich, qui poursuit ses recherches sonores dans de multiples directions (psychédélisme, rock, jazz) et le batteur Mani Neumei, personnage totalement «déjanté» à l inventivité rythmique permanente. Jetez-vous sur ces deux albums, montez le son très haut et goûtez à cette musique des abysses qui paradoxalement vous fait monter très haut. À n en pas douter cette musique éveille les sens et vous fait revenir de vous-mêmes et, comme d un long voyage on ramène les présents les plus inattendus, là vous extirperez de vous les délices émotionnelles les plus rugueuses et les plus vives. Floh de Cologne produit un rock théâtral et revendicatif dans la droite ligne des new-yorkais de The Fugs et de la mise en scène et en sons des Mothers de Zappa (comprendre la langue allemande est appréciable pour saisir toute la charge corrosive des textes du groupe puisque nombreux sont les passages parlés ou déclamés). À l écoute du live, Profitgeier, on peut aussi découvrir dans leur musique des éléments de ce que proposera la new wave anglaise voire même certaines productions punk quelques années plus tard. Leur œuvre peut-être la plus ambitieuse est sans conteste leur Geier-Symphonie publiée en 1974 constituée de trois longs titres (le dernier faisant pas moins de 22 mn). Ash Ra Tempel publie ses trois premiers albums sur le label. Le premier, au titre éponyme, avec sa pochette astucieusem*nt ouvrante par le milieu de devant et qui se déploie en deux paires de volets superposées découvrant des graphismes d inspiration égyptienne et les premières strophes du poème d Allen Ginsberg, Howl. Ces trois albums, indispensables à tout amateur de krautrock, sont imprégnés de racines blues transcendées par un recours aux nouvelles possibilités techniques des studios et de l amplification électronique, le tout ouvrant des paysages musicaux inédits et des orientations cosmiques par l usage des synthétiseurs (on notera la présence de Klaus Schulze sur deux des trois albums). Schwingungen est l un des disques les plus exaltants du label (et du krautrock dans son ensemble). Les musiciens y sont pris d une folie furieuse de création, d innovation sonore. Les instruments se fondent dans une sorte de matière sonore intense et brûlante. Dangereusem*nt irradiante, la musique proposée doit être jouée bien fort pour atteindre son apogée. Après avoir participé au premier album de Ash Ra Tempel Klaus Schulze publiera son premier album solo, Irrlicht, en Disque savoureux qui déploie des trésors d inventivité et de recherches sonores et qui mêle diverses influences. C est presque à une symphonie cosmique que nous sommes invités ici. D ailleurs, en plus des dispositifs électroniques de 4 8

49 l auteur, on peut y entendre un orchestre symphonique réduit dont les sonorités sont retravaillées. Là encore la surprise sera grande pour ceux qui ne connaissent Klaus Schulze que par ses productions postérieures. Toten (heureux ceux qui comprendront l allemand). Cependant le label avait aussi pour ambition de promouvoir toutes les formes de musique issues de «l underground». De telle sorte qu on verra apparaître des enregistrements de musiciens issus du folk ou des mouvements les plus avant-gardistes. Pour exemple, le second album publié fut celui de Limbus 4, Mandalas, où de jeunes musiciens donnent libre cours à leur inspiration improvisatrice sur des bases musicales qui mêlent les sources orientales voire africaines avec les codes de la musique nouvelle européenne. L instrumentation à laquelle ils ont recours est hétérocl*te, s y font entendre percussions diverses, violoncelle, contrebasse, voix psalmodiée, orgue et nombreux instruments pas toujours faciles à identifier. Pour ce qui est du versant folk on pourra se tourner vers le Trips & Träume de Witthüser & Westruppp. Album que l on dirait aujourd hui «weird folk» tellement on s éloigne d un simple album acoustique inscrit dans une tradition identifiable. Si les guitares acoustiques y sont bien présentes, construisant des mélodies d une beauté fractale enthousiasmante, des sons plus électroniques, orgue au son trafiqué, chœurs féminins éthérés, viennent prêter à ce disque toute son étrangeté. S y plonger c est emprunter des chemins non balisés pour découvrir, au long du parcours, des sensations inédites qu on est impatient de renouveler. Bernd Witthüser a publié sous son nom un album résolument folk au goût fort étrange mais, me dit-on, à l humour noir et caustique et à la drôlerie imparable, Lieder von Vampiren, Nonnen und Walpurgis, avec Queen of Saba, publié en 1972, illustre la facette plus progressive et psychédélique du label. En effet, on trouve dans la musique de Walpurgis les influences du psychédélisme west-coast et du rock progressif anglais. Bel album qui plaira certainement aux amateurs de l Airplane, Quicksilver, Pink Floyd et Jane (ceci pour situer un peu). Bien que le titre qui ouvre l album soit plus que quelconque, en revanche le dernier long morceau laisse entendre quelques entrelacs de guitares qui font plus qu évoquer Gila ou Agitation Free. Mythos publie son premier album en Celui-ci est très représentatif de la direction que va prendre la musique issue de la scène dite «cosmique» ou «planante». Ici les illustrations sonores, les percussions, les synthétiseurs, et la guitare se fondent dans une musique au charme inaltérable. Encyclopedia terrae constitue une longue suite illustrant le destin d une planète, de sa naissance à sa disparition apocalyptique (le morceau qui ouvre l album est une adaptation d un thème du compositeur classique Händel, adaptation fort peu réussie et 4 9

50 dispensable pour l équilibre du disque). Enfin restent les albums de Birth Control et celui d Amon Düül. Les premiers constituent sur le label une exception en ce sens que la musique de Birth Control est une sorte de hard rock au caractère progressif assez prononcé du fait d un orgue omniprésent qui n est pas sans évoquer, par exemple, Uriah Heep, le côté flamboyant en moins. Pour ce qui est des aspects progressifs les plus marqués, il suffit d écouter le dernier morceau de leur album Operation paru en Intitulé Let us do it now, durant 11 mn on peut y entendre une longue introduction au piano solo aux effluves romantiques, chant assez grandiloquent, usage de cordes et cuivres... bref ce que déjà de nombreux groupes avaient expérimenté en ce début des 70 s. Soit dit en passant, et même si ce fut la plus grosse vente du label, l ensemble est loin de me convaincre et je préfère les enregistrements suivants parus sur CBS (Hoodoo Man 1972). Le second album sur Ohr (Believe in the pill) est une compilation de titres extraits du premier album paru sur Metronome en 1970 et de Operation. Et puis, pour finir ce parcours nonexhaustif, il nous reste à évoquer Paradieswärts Düül de Amon Düül. Disons le tout de suite, ce disque est un des fleurons du label et plus subjectivement un petit chef d œuvre de folk progressif décalé et bringuebalant. De fait Amon Düül avait déjà publié deux albums sur Metronome en 1969 et 70 qui étaient pour l essentiel constitués de longues jams (issues des mêmes sessions), essentiellement acoustiques et plutôt «bordéliques» où guitares, percussions et voix prodiguaient une musique totalement étrange et qui sentait bon son amateurisme. Pour Paradieswärts les musiciens s essaient à l électricité et cela leur va bien. Love is peace, long de 16 mn, est une suite en deux parties où dans la première on peut entendre les entrelacs de la guitare et de la basse sur un tapis de percussions sur lesquelles décolle le chant à plusieurs voix comme une psalmodie. La seconde partie effectue un retour à l acoustique avec percussions discrètes et chant orientalisant. Sans détailler tout le disque, disons que celui-ci touche à la quintessence de ce qu a pu être le krautrock : une démarche musicale exigeante qui explore des voies nouvelles tout en mixant des influences diverses en offrant des sensations inédites à l auditeur. L édition CD Spalax propose en sus les deux titres du 45 t qui sont tout aussi essentiels. Signalons qu ici nous n avons tenu compte que de la discographie originale du label Ohr telle que parue entre 1970 et 1974 et dont nous vous proposons la liste complète à la suite de cet article. Spalax au cours des années 90 a réédité de nombreuses références du label. Cependant il existe pour les rééditions CD récentes un label nommé Ohr-Pilz (Ohr Today) distribué par ZYX Music. La particularité de ce nouveau label est qu il réédite en partie les disques parus à l époque sur Ohr mais aussi quelques références d autres labels comme Pilz ou Basf. On peut y trouver par exemple le premier album de Gila (Basf), des Popol Vuh, Hölderlin, Bröselmachine, Virus, Emtidi ou Ruphus Zuphall, Wallenstein (tous parus sur Pilz à l époque). Mais on n y trouve pas Tangerine Dream, Ash Ra Tempel ou Embryo distribués par d autres labels. Harvest Merci à Béa pour ses précieuses informations et à Nain Dien pour le titre de l article. 5 0

51 Références LP s 1970 Floh de Cologne, Fliessbandbaby's Beat-Show Ohr OMM Limbus 4, Mandalas CD Spalax Ohr OMM Witthüser Bernd, Lieder von Vampiren, Nonnen und Toten Ohr OMM Embryo, Opal RI Materiali Sonori Ohr OMM Tangerine Dream, Electronic Meditation Ohr OMM Guru Guru, Ufo CD Spalax Ohr OMM Various Artists Ohrenschmaus avec inédit de. Annexus Quam Ohr OMM 2/56006 Annexus Quam, Osmose CD Spalax Ohr OMM

52 1971 Amon Düül, Paradieswärts Düül CD Repertoire Ohr OMM Bunn Roger, Piece of Mind Ohr OMM LP Floh de Cologne, Rockoper Profitgeier Darkred Vinyl, CD Spalax Ohr OMM Anima, Stürmischer Himmel Ohr OMM Tangerine Dream, Alpha Centauri Ohr OMM Ash Ra Tempel, Ash Ra Tempel CD Spalax Ohr OMM Xhol, Hau-RUK CD Garden of Delights Ohr OMM Birth Control, Operation CD Spalax Ohr OMM Witthüser & Westrupp, Trips & Träume CD ZYX/Pop Import Ohr OMM Guru Guru, Hinten CD Spalax Ohr OMM Various Artists, Mitten ins Ohr Ohr OMM 2/56018 Mythos, Mythos CD Spalax Ohr OMM

53 1972 Ash Ra Tempel, Schwingungen CD Spalax Ohr OMM Tangerine Dream, Zeit CD Brain 2/1086 Ohr OMM 2/56021 Schulze Klaus, Irrlicht CD Spalax Ohr OMM Walpurgis, Queen of Sabaa CD ZYX/Pop Import Ohr OMM Xhol, Motherf*ckers GmbH And Co Kg CD Spalax Ohr OMM Birth Control, Believe in the Pill Ohr OMM Various Artists Kosmische Musik. Avec inédits de Ash Ra Tempel, Klaus Schulze Ohr OMM 2/56027 Annexus Quam, Beziehungen CD Spalax Ohr OMM Floh de Cologne, Lucky Streik CD Spalax Ohr OMM 2/56029 Clauss Arno, An Tante Gertie in Zons am Rhein Ohr OMM Tangerine Dream, Atem Ohr OMM Ash Ra Tempel, Join Inn CD Spalax Ohr OMM Floh de Cologne, Geyer-Symphonie CD Spalax Ohr OMM Petite remarque pour les collectionneurs : les seize premiers albums ont été réédités sous les références Ils constituent donc une seconde édition et non pas les originaux (ce qui change beaucoup pour les cotations). 5 3

54 Singles : 1970 Amon Düül, Eternal Flow / Paramechanical World Ohr OS Floh de Cologne, St. Pauli, Du Mein Loch Zur Welt / Bruno-Lied Ohr OS SL Witthüser & Westrupp, Einst kommt die Nacht / Wer schwimmt dort Ohr OS SL Birth Control, Hope / Rollin' Ohr OS SL Witthüser & Westrupp Nimm Einen Joint / Laß uns auf die Reise gehn Ohr OS Birth Control The Work is done / Flesh and Blood Ohr OS Tangerine Dream Ultima Thule Teil Ohr OS Birth Control What's your name / Believe in the Pill Ohr OS Golgatha Dies Irae / Children s Game Ohr OS Floh de Cologne Emil in Erkenschwick / Zahlen mußt du Ohr OS Clauss Arno Karlchen / Manchen Leuten möchte... Ohr OS Floh de Cologne Der Löwenthaler / Bayrisches Heimatlied Ohr OS

55 À bas les Yéyés elevez la tête. Vous qui avez souffert pendant si longtemps d âneries télévisuelless et radiophoniques, l heure de la vengeance est proche. Dans toutes les horreurs qu il aura fallu supporter pour faire plaisir à mémé, rien de pire que les yéyés. Ces guignols préfabriqués, qui massacraient les tubes anglo- qu une saxons de l époque, pendant bande de niais tapaient dans leurs mains (le principe même de la téléréalité d aujourd hui). Qui donc n a pas rêvé de voir la tête de Sheila au bout d une pique, d asperge Albert Raisner de napalm, au moins pour lui faire passer ce sourire idiot. Et, dans la foulée, d assommer Tontonn Marcel avec le gigot du dimanche, en gueulant No Future ou My Generation (selon les époques). J en parle d autant mieux que je peux difficilement être accusé de chauvinisme musical, que ce soit de l ancien ou du nouveau. Et puis Lou a déposé un curieux objet sur mon bureau. À bas les yéyés, encore une tentative mercantile et putride? On aurait vraisemblablement affaire à une approche de l underground français des années 60. Vous avez parfaitement lu. Certes, on imagine bien les programmateurs de radio d avant 1968 (et même ceux d après) pétochards, achetés, bidochonesques (néologisme assumé), mais en déballant des colis pareils, on comprend un peu mieux pourquoi tout ceci devait aller au panier, après une demi-écoute. Autant vous prévenir tout de suite, la moisson sera relativement maigre. Sur 28 titres, peu ont trouvé grâce à mes oreilles de yéyéphobe notoire. Par contre, de vrais diamants ont émergé de la purée. Et au nom des souffrances plus haut évoquées, chantons bien haut la victoire! Passons les bons en revue. Le reste, les Édouard, Évariste et autres JB de Libreville n étant que de la beauferie déguisée, du vomi repeint au goût du jour, le degré zéro de la récupération made in béret basque La palme revient quand même au nommé Jacques Fihl, prototype du 5 5

56 minet de drugstore, archétype du macho de base, tout fier de lui. Le genre qui venait vous soulever vos copines devant le lycée, dans sa belle bagnole. Une question me taraude, cependant. Quels pervers polymorphes ont, un jour : - signé tous ces gens ; - acheté ces trucs ; - eu l idée de cette compilation? Général Giap, c était pas le genre de l ORTF. Extrait de la BO de La Chinoise de Godard. Sacré argument de promotion, on s en doute. Écoutezle ici : rockfrancais/sons/ channesmaomao.mp3 Le Fric Génial! Les cuivres sont piqués au Soul man d Otis Redding, ce type chante comme le futur Melmoth d une façon surprenante! Une histoire de salaud prêt à tout pour du blé, qui a fait l énorme tube bien connu. Gonflé pour l époque. Faire offre raisonnable pour ces deux singles. Jean Yanne Les revendications d Albert À tout seigneur anar sur la trame d Everybody need Somebody To Love (qui revient assez souvent d ailleurs) le meilleur titre. Une mise en boîte féroce des beatniks du dimanche, un œil à Moscou, l autre sur la courbe des ventes. Avec cette faconde de harangueur qui n appartenait qu à lui, des chœurs en russe lavabo, la révolution prolétarienne était sauvée. Je réclame une intégrale de l œuvre discographique de ce grand homme (avec Rouvrez les maisons, bien sûr). Stella (Quatre titres présents, mais seuls deux nous ont paru dignes d intérêt.) L idole des Jaunes Sur une trame de distorsion et de cuivres soul, une irrésistible parodie de l atroce gloire nationale, par la future Madame Vander. Commercial, marrant et accrocheur. À noter que le Grand Timonier est souvent cité, le péril rouge devait être l ultime épouvantail, à secouer à la tronche gâtée des bienpensants. Claude Channes Mao Mao Pardon? Là, je comprends qu Europe 1 et RTL aient eu la pétoche, un hymne provo à la gloire de Mao. Le soutien au Cauchemar auto-protestateur Un groove stax, Joan Baez and Co. qui se font tailler un bon costume pour l hiver. La phrase qui tue, Je suis pour les Viets/Contre les Congs/Et les Congs/C est pas c qui manque. 5 6

57 V. Hachloum Paris s éveille Clothilde Fallait pas écraser la queue du chat Superbe! Une version moqueuse et totalement anar de la lassante rengaine de Dutronc (Les flics sont sans pitié/pendus à la tripaille des curés). Alerte et galopante, avec une succulente trompette mexicaine (Hasta la victoria sempre?). Un vrai bonheur! Présente un surprenant cousinage avec la BO de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, chef d œuvre de Jean Yanne. Comme quoi Faire offre raisonnable pour le single. J. Marchais La mitraillette Bâti sur le modèle de la précédente. À qui voulez-vous faire croire que cette hilarante adaptation gaucho du À Bicyclette de Montand vient d un petit jeune? D une justesse et d une précision hallucinante, c est du travail de pro. Je pencherais pour un gag de requins de studio. Pensez Léo Ferré sous Prozac. Jacqueline Taïeb Sept heures du matin Remarquable, un beat bien soutenu, très anglais, une belle partie de guitare, pour nous raconter une histoire de décollage matinal au radar (pléonasme). Se permet de moucher Elvis au passage. Vous savez quoi? Je suis persuadé que l idée de l immonde Chacun fait c qui lui plait est pompée là-dessus. Un véritable bonbon au cyanure. L arrangement rappelle les Who (le cor) et la dénommée Clothilde nous susurre une bluette cynique à souhait, d un ton sobre et pince-sans-rire. Imaginez Nico en moins gutturale. Cléo (Là aussi, un seul titre sur deux a retenu notre attention.) Les Fauves Parodie hilarante de Petula Clark. À diffuser dans n importe quel magasin en période de soldes, quand vous vous retrouvez seul face à trois cents hystéros, prêts à tout (mais alors à tout!) pour entrer les premiers. Beau swing jazzy. Voila, je vous avais prévenu, un bon épluchage bien radical s impose, mais la qualité est là. Au delà du cauchemar que va vous poser la quête de ces galettes, et même si le Ronnie Bird inconnu, le Serge Gainsbourg qui s ignorait, ou les Deviants de la Creuse restent à localiser, le passé musical de ce pays n est pas fait que d âneries honteuses. Dans les mois qui viennent, la rédaction se penchera sur d autres compilations tricolores, pour mieux établir le fil avec tous ceux (Eden Rose, Chico Magnetic Band, Magma, Moving Gelatine Plates, Ergo Sum, Alan Jack Civilisation, parmi tant d autres) qui ont tenté d imposer une vraie qualité, face à l inertie médiatique et la guimauve en boucle. Laurent 5 7

58 Né en 1931 à Berlin, de son vrai nom Wolfgang Grajonza, d origine juive, le futur Bill Graham fuit grâce à un orphelinat l Europe occupée. Apres plusieurs étapes européennes et en Afrique, il arrive à New York. Il grandit dans le Bronx, s intéresse au sport et fait divers petit* boulots ; c est à cette époque qu il change de nom. Il part ensuite pour la guerre de Corée et passera 2 fois en cour martiale pour insubordination. Durant les années 50, il s essaye comme acteur, mais en vain. Au début des années 60, il part pour San Francisco. Dans un premier temps, il y travaille dans les bureaux, mais décide de se lancer dans les affaires. Vers 1965, il devient manager de la Mime Troupe, une troupe de théâtre aux discours orientés vers la politique et les droits civiques. Petit à petit, il organise quelques concerts. C est ainsi qu il tombe dans le rock and roll. Son premier gros coup, il le réalise avec le Paul Butterfield Blues Band. Bill s arrange avec l un de leurs agents et récupère la promo du groupe pour quelques dates. Le manager sortant, plutôt en rogne, demande à Bill comment il s y est pris. Ce dernier lui répond tout simplement : «Je me suis levé tôt». Bill Graham Dans le San Francisco de 1967, le rock est dans tous ses états, et Bill fait régulièrement monter sur scène les Quicksilver Messenger Service, Grateful Dead et Jefferson Airplane. Il commence alors à se faire connaître. Il abandonne en 1968 son Fillmore Auditorium (Fillmore St, Geary Blvd, San Francisco) pour prendre en gestion l ex Carrousel Ballroom (Market St, Van Ness Ave San Francisco) qu il rebaptise Fillmore West et, dans la foulée, reprend un vieux cinéma qui devient le Fillmore East (2nd Ave, 6th St, New York). C est l époque des belles affiches, celle où les dessinateurs reproduisent les visions perçues sous acide, les petites salles combles, l ambiance incroyable d être à 2 mètres des artistes, etc. Bill a toujours eu le nez creux pour dénicher des groupes inconnus et pour monter des affiches avec des artistes de styles plus ou moins divergents, comme Santana ou Blue Cheer ouvrant pour Ravi Shankar. Le bureau de Bill à New York est un incontournable lieu de passage pour les businessmen qui sont en ville, et les affaires vont bien. Bill possède aussi depuis 1967 une ancienne 5 8

59 patinoire, le Winterland (Post St, Steiner St, San Francisco). Sa réputation n est plus à faire, Graham est dur en affaire, inflexible, mais loyal et juste. Les lendemains de concerts, il fait systématiquement son compte rendu : «ce projecteur déconne», «la bière était trop chère» ou «les sandwichs n étaient pas bons». Les affiches mentionnant «Bill Graham Presents» font venir beaucoup de monde ; ses concerts sont réputés et il va parfois jusqu à faire jouer des grands groupes sous des noms d emprunt. Le plus beau compliment qu on lui ait fait sera pendant un concert de Cream. Bill est aux toilettes, entouré par deux types aux urinoirs qui ne le reconnaissent pas. L un d eux demande : «Au fait, qui est-ce qui joue ce soir?» et l autre répond : «Je ne sais pas, mais quelle est la différence, c est le Fillmore». Bill Graham a une tradition, c est le concert du nouvel an avec le Grateful Dead. Il endosse le rôle de Father Time, se déguise et assure le décompte des secondes avant minuit et le coup d envoi du concert. Une chose qui lui tient encore plus à cœur sont les concerts caritatifs ; il se démenait pour faire venir des artistes et tout organiser rapidement, défendait des associations, récoltait des fonds pour l aide d un quartier, etc. Graham organisera des centaines de concerts de ce type. fauteurs de troubles, défend les artistes, fait toujours ouvrir des grands noms par des petit*. En 73, à un concert du Dead, la foule s impatiente dehors et commence à enfoncer les portes. Graham sort voir ce qui se passe, et un fan lui crie : «Hey capitaliste!». Bill s approche du gars, puis lui déchire sa place de concert et lui jette un billet de 20 dollars à la figure. Graham produira les Stones en 72, fera venir personnes à Watkins Glen pour acclamer The Band, les Allman Brothers et le Grateful Dead en 73, la tournée des stades de Crosby, Stills & Nash en 74, le fameux Last Waltz de The Band en 76 à Winterland. Bill Graham doit d ailleurs fermer le Winterland (bâtiment trop vétuste) le 31 décembre 78, et il assurera le petit déjeuner pour les 5000 spectateurs. Les années 80 s enchaînent, il organise l US festival en 82 avec Steve Wozniak d Apple, le Live Aid américain en Le 25 octobre 1991, alors qu il est en déplacement pour organiser un concert pour les victimes d incendies de forêts, son hélicoptère est pris dans un orage et percute un pylône. Le 3 novembre, un concert est organisé pour sa fondation : Aaron Neville, Santana, Grateful Dead et Crosby, Stills, Nash & Young, entre autres, font le déplacement. En 1971, il décide de fermer les deux Fillmore, se rendant tristement compte que les groupes préfèrent donner un concert date en plein air et gagner autant d argent qu en jouant trois soirs au Fillmore. Les années 70 sont là, mais ce n est plus le Summer of love. Bien des choses ont changé, mais Bill, lui, ne change pas. Il vire lui-même les Aujourd hui, le Winterland a été rasé, le Fillmore East, partiellement détruit : la partie qui subsiste héberge une banque. Il y a bien une salle à son nom à San Francisco, mais Bill Graham nous a surtout laissé un gros héritage. Vers 2002, ses archives, éparpillées un peu partout dans le pays, ont commencé à être regroupées. Surprise! 5 9

60 Bill Graham gardait tout : affiches, tickets de concert, t-shirts, photos Des enregistrements audio et vidéo rares ont ainsi été retrouvés. Tout est là, conservé pendant 30 ans et en excellent état, estimé à 5 millions de dollars. Mais au delà de ces biens matériels, on a tous un concert, une performance mémorable qu on adore, au Fillmore ou au Winterland. Bill Graham était apprécié des artistes qu il faisait jouer, et sur scène, ces derniers le lui rendaient. Cyril 6 0

61 Le coin des collectionneurs: Swingin London Part 2 Lovegrove (lead guitar) and Terry Nolder (vocals), The Eyes se distingue par un son innovant, truffé d arrangements et de distorsions, le tout avec des harmonies parfaites ; un son annonciateur de la révolution psychédélique anglaise, bien avant les Floyd d ailleurs. The Eyes The Arrival Of The eyes 1966, Label Mercury Pressage UK. Valeur : euros. The immediate Pleasure / I m Rowed Out / When the night falls / My degeneration. Voici ici l un des EP les plus méconnus du mouvement freak beat anglais. Originaire de Londres, les gars de The Eyes se sont d abord fait connaître sous le nom des Renegades puis des Gerry Hart & The Hartbeats. Composé de Barry Allchin (bass), Brian Corcoran (drums), Phil Heatley (guitar), Chris Après 3 singles sans succès, ces mecs nous pondent donc un petit chef d œuvre de pop anglaise et de guitares dissonantes. I m Rowed Out ne doit rien à ce que les Who ont pu balancer de meilleur. When The Night Falls est ce bijou psyché dont on ne se remet que difficilement, traversé de bidouillages électroniques du meilleur effet et de guitares tortueuses. The immediate pleasure et sa structure Kinksienne nous rappelle que ces jeunes gens n avaient rien à envier à leurs modèles, alors que My degeneration est un pastiche sympa du titre culte des Who. Malgré un dernier single combinant les deux derniers titres, The Eyes est passé totalement inaperçu à l époque. Une injustice de plus dans ces sixties aujourd hui rattrapée par la réédition CD de tous leurs titres, et leurs 6 1

62 apparitions dans de nombreuses compilations, dont l excellente Perfumed garden. La dernière trace discographique de The Eyes renvoit au groupe The Pupils qui ne sortira qu un 33tours totalement dispensable dédié aux standards des Stones. pu en pondre un, Columbia leur fera signer 3 albums tous plus dispensables les uns que les autres. L existence de ce EP est révélateur : aucun des titres ne parvient à décoller, la voix est énervante à vous déclencher une poussée d urticaire, les guitares sont frigides et les rares incursions de l harmonica sont les seuls bons moments de ce disque. À oublier d urgence! The Downliners Sect The Sect Sing Sick Songs, 1966, Label Columbia SEG Pressage UK. Valeur : euros. I Want my baby back / Leader of the Sect / Midnight Hour / Now She s Dead. Ah le cas de la «Sect»! Adoré par les uns qui sont prêts à vendre cul et chemises pour dénicher la énième pièce rare, et vilipendé par les autres comme étant une erreur dans le foisonnement musical des sixties. Parfois considéré comme un groupe majeur de la scène anglaise, alors que la plupart des titres renvoient à du mauvais garage US, les Downliners Sect avaient l attitude, le look propice à déclencher des bastons dans les salles de concert. Formé en 1963, le groupe sortira nombre de singles sans connaître un jour les hits, ce qui est compréhensible d ailleurs. Malgré cela, et alors qu à titre d exemple les Actions n ont jamais The Move Sans aucun doute le seul groupe à avoir su émerger de la scène du Swingin London pour gagner les terres américaines et continuer à subsister tout au long des seventies. Et quel groupe, sorte d hybride entre les Kinks pour ces mélodies impeccables, et les Who pour leurs prestations scéniques destructrices, où télés et affiches politiques se retrouvaient souvent enflammées sur la mythique scène du Marquee. Originaire de Birmingham, The Move se dénomme ainsi suite à la réunion de divers musiciens qui officiaient dans différents combos du Midlands. On y retrouve ainsi Carl Wayne au chant, Trevor Burton à la guitare (au chant parfois), le géant Roy Wood (guitare), Chris «Ace» Kefford à la basse et Bev 6 2

63 Bevan à la batterie. Sur les conseils de leur sulfureux manager Tony Secunda fin 1966, le groupe part à l assaut de la capitale britannique précédé d une réputation des plus houleuses. Et ça fonctionne puisque le premier single des Move se classe directement à la seconde place des charts (Night Of Fear sorti chez Deram). Il s en suivra une collection parfaite de tubes pop, aux arrangements mirifiques et aux textes sarcastiques (I Can Hear The Grass Grow). Surtout, The Move impressionne sur scène, reprenant à l envi des standards des Byrds et autres Love, en les massacrant et en les déstructurant. Cette réputation, ils la payeront très cher : leurs textes sont le plus souvent censurés par la radio et l establishment. Il n empêche, les gars continueront d affoler les charts avec ces pépites que sont The Lemon tree, Fire Brigade ou l absolue Blackberry way et son rythme enchanteur, la voix nasillarde de Roy Wood en avant, et son refrain implacable. enregistré live et où l on retrouve toute la puissance des Move. The Move I Can Hear The Grass Grow 1967, Label Deram , pressage français. Valeur : 100 euros. I Can Hear The Grass Grow / Night Of Fear / Wave the Flag And Stop The Train/ The Disturbance. Pressage espagnol Deram SDGE Valeur: 70 euros. The Move Something Else 1968, Label Regal Zonophone 2001, pressage anglais. Valeur : euros. So You Wanna Be A Rock n Roll Star / Stephanie Knows Who / Something Else / It ll be me / Sunshine Help Me. The Move Flowers In The Rain 1967, Label Festival FX-11,457 mono, pressage australien. Valeur : 200 euros. Flowers In The Rain / The Lemon Tree / Mist On A Sunday Morning / Kilroy Was Here. Malgré cela, le groupe se dissout peu à peu, mais en 1972, renaîtra plus ou moins sous le nom d Electric Light Orchestra (ELO), trio progressif où Lynne, Wood et Bevan s aventurent dans une musique bien plus complexe et ennuyeuse que les Move originels. Mais le succès interplanétaire frappe à la porte. L injustice toujours! Il reste de cette période une pléiade de singles tous aussi géants les uns que les autres, et trois albums, dont on ne saurait que trop vous conseiller les deux premiers, indispensables à toute bonne discothèque. Voici une petite sélection de leurs EP, aussi bien espagnols, anglais que français, que l on peut qui plus est trouver à des prix corrects, l idéal étant de vous procurer Something Else The Maze Harlem Shuffle, 1967 label Vogue Int Pressage Français. Valeur: 300Euros. Harlem Shuffle / I m So Glad / What Now / The Trap. 6 3

64 La distribution discographique dans les sixties en France révélera toujours son lot de surprises. Voilà qu en 1967, Vogue nous pond un EP des Maze, quintet obscur de la scène londonienne. Une galette introuvable et qui doit hanter les nuits des plus grands fans de la machine Deep Purple. Peu de choses circulent sur ce groupe qui comprenait en son sein Rod Evans (premier chanteur du Purple) et Ian Paice (le premier batteur), si ce n est que les Maze ont été surtout influencés par la scène du British Boom qui agita l Angleterre des sixties, et que leur musique n avait donc rien à voir avec les excellents Episode Six de Ian Gillian et Roger Glover. Baptisé dans un premier temps les Slough M.I 5 (en référence à leur ville natale), les Maze ont pondu quelques singles de R&B de qualité comme cette reprise sucrée de la chanteuse soul Barbara Lewis Hello Stranger. Il n empêche, sur ce EP recherché, où l on trouve la reprise de Bob & Earl Harlem Shuffle, les qualités techniques du groupe se trouvent vite restreintes, et à titre d exemple, leur I m So Glad (de Skip James) semble bien fadasse à coté de celui des Cream et compagnie, l orchestre semble à la ramasse et ce morceau culte vieillit tout d un coup très mal. On peut le retrouver sur l excellent travail fourni par le label Eva dans sa série des «Sixties Archives» à conseiller à toutes les oreilles. Nirvana Pentecost Hotel 1967, label Fontana Pressage Français. Valeur: 90Euros. Pentecost Hotel / Wings Of Love / Tiny Goddess / Feeling Shattered. Bien loin du magma sonore de l ami Kurt Cobain qui enflamma les 90 s, il exista bel et bien un groupe du même nom originaire du Royaume Uni et officiant dans les sixties, proposant une des plus belles pop music de l été 67, et récoltant au passage de jolis succès d estime. Formé la même année que la sortie du EP, Nirvana était un combo cosmopolite, composé de deux songwriters au talent indéniable, à savoir le grec Alex Spyropoulos et l irlandais Patrick Campbell-Lyons. C est Chris Blackwell qui les déniche pour le label Island, impressionné par le coté baroque et le lyrisme de leur musique, ainsi que par la beauté des textes. Il en résultera trois albums dont le somptueux The Story Of Simon Simopath fin 1967, concept album à la douceur infinie, où le groupe mélange les genres et le classicisme. La musique de Nirvana est vraiment une exception dans le paysage musical du Swingin London. Bien loin du R&B d alors, ces gars-là troussaient des chansons d un autre âge sous une 6 4

65 ambiance psychédélique des plus enfantines. C est l ambiance que l on retrouve sur ce 45Tours édité par Fontana et distribué uniquement en France, une fois n est pas coutume, et que l on peut dénicher à prix raisonnable malgré sa rareté. Pentecost Hotel est tout simplement une ballade des plus enchanteresses, aux arrangements riches et au refrain impeccable. Wings Of Love fait preuve de la grandiloquence de l œuvre de Nirvana, mais ne tombe jamais dans la surenchère. Tiny Goddess apparaîtra sur le second album du groupe alors que Feeling Shattered est une face B jamais publiée autre part. Une œuvre unique, à la beauté parfaite et à la production flamboyante. Orange Bicycle Hyacinth Thread 1967, Label Impact Pressage Français. Valeur: 90Euros Hyacinth Thread / Amy Peate / Compétition / Dropping Out. Composés alors de John Bachini, Kevin Curry, Bernie Lee, Wilson Malone et RJ Scales, les Orange Bicycle vont alors se plonger corps et âme dans une pop psychédélique sucrée alternant les bons passages, mais aussi les moins bons. S ils obtiennent un hit en France et dans d autres pays européens, il n en reste pas moins que dans leur propre pays leur musique passe totalement inaperçue. Une injustice quand on constate la qualité d un morceau tel que Jenskadajka. La France leur ouvre donc les portes du succès, et le label Impact sort en 1967 cet EP obscur où l on retrouve le très bon Hyacinth Thread aux harmonies vocales proches des Beach Boys et à la guitare aux sonorités acides. On y trouve également Amy Peate, face B de leur premier single, et deux morceaux inédits qui ne paraîtront qu en France, d où l intérêt de ce super 45 tours. Je n ai malheureusem*nt jamais entendu ces deux titres. En 1970, ils sortent leur unique album qui sera un échec commercial. Constitué majoritairement de reprises (Elton John, Bob Dylan, ou encore Denny Laine), les Orange Bicycle ne retrouvent pas la grâce de Hyacinth Threads, et le groupe se sépare ainsi en 1971 dans l indifférence la plus totale. On retrouvera entre autres Kevin Curry (batterie) au sein de Supertramp. Initialement baptisés Robb Storme & the Whispers, ces gars enfileront les singles pour Pye, Columbia ou encore Decca au milieu des sixties sans grand succès, pastichant les Beatles et les Beach Boys. En 1967, ils décident de prendre le wagon du psychédélisme naissant, et contre toute attente, obtiennent un numéro 1 en France sous l appellation des Orange Bicycle avec ce très bon titre Hyacinth Thread. Et pourtant qui se souvient de ce groupe? The Primitives Oh Mary 1966, Label Vogue Int Pressage Français. Valeur : 400Euros Oh Mary / I Don t Feel Myself / Mr. Heartache / Tears in my eyes. 6 5

66 The Primitives fait l objet d un tel culte chez les collectionneurs qu il est difficile d estimer une côte raisonnable. Originaire d Oxford, le groupe est alors composé de Jay Roberts (chant), Geoff Eaton (guitare), John E.Soul (guitare/harpe), Roger James (basse) et Mike Welding (batterie). Ils proposent un R&B proche des Pretty Things et sont vite signés par Pye en Pour autant, ils n entreront jamais dans les charts britanniques, et finalement connaîtront le succès en Italie à la fin des années 60. Les Primitives avaient tout pour exploser, un chanteur à la voix éraillée, des compositions à vous faire tomber par terre, et une énergie débordante. Une sauvagerie assumée qui lorgnait franchement vers le garage US d alors. La France se voit donc gratifiée en 1966 d un EP qui est le cauchemar de bon nombre de collectionneurs avec cette bombe qu est Oh Mary, rhythm&blues endiablé porté par la voix surpuissante et grave de Jay Roberts soutenue par une rythmique infernale. Le pire, c est qu ils en avaient des dizaines du même calibre, du genre You Said qu on peut trouver sur le somptueux coffret Nuggets british. I Don t Feel Myself est une ballade tribale, Mr.Heartache et son refrain impeccable et provocateur, Tears in my eyes sans aucun doute le morceau le plus faible de cet EP aux relents garage. Le problème des Primitives, c est qu ils n ont eut de cesse de courir après le succès et sont ensuite passés à des compositions plus sucrées, davantage banales. Tant pis, on se contentera de ce quatre titres ravageur qui une fois de plus nous fera regretter la magie des sixties. Lou 6 6

67 Entretien avec Fred Vidalenc Inéluctablement, l influence des artistes d hier s entend dans la musique de ceux d aujourd hui. Qu ils aient écouté Jefferson Airplane seuls dans leur chambre, ou Dylan dans le salon familial, ils ont tous une vieille et belle histoire d amour musicale à nous raconter. Cette rubrique vous invite à faire mieux connaissance avec un artiste de la scène actuelle à travers son œuvre, mais aussi son évocation des musiciens des années 60 et 70 qui l ont inspiré. Propos recueillis par Béatrice André Il a été le bassiste de Noir Désir du premier album jusqu en Il a choisi ensuite d aller là où le vent le mène pour faire carrière en solo. Bien loin du manège médiatique, sur le sentier à la fois paisible et tortueux des souvenirs de son enfance. Entrevue sincérité avec l un des musiciens les plus attachants de la scène française actuelle. Quand est né véritablement ton désir d enregistrer en solo? Était-ce alors que tu faisais encore partie de Noir Désir? Non, je ne faisais plus partie de Noir Désir quand j ai commencé à écrire en solo. Noir Désir est un vrai groupe, avec une grande implication de chacun des musiciens. C est un groupe fatiguant, avec lequel il y avait pas mal d engueulades, de désaccords, mais aussi beaucoup de complicité, de fraternité, de complémentarité. Je n avais pas envie alors d écrire des choses pour moi-même parce que j étais pleinement heureux au sein de cette grande famille. Écrire des chansons pour moi m est venu peut-être un an après mon départ de Noir Désir, quand j ai commencé à m emmerder un peu. Au début, je 6 7

68 trouvais ça assez chouette de faire autre chose que de la musique. Mais peu à peu, je me suis assis de nouveau à une table, pour jouer de la guitare et installer des ambiances. Puis j ai écrit des textes sur ses ambiances, d abord en me faisant aider par une amie dont j apprécie beaucoup l écriture. Et puis j ai fini par lui faucher le stylo pour tout écrire moi-même. Tes deux albums sont résolument plus orientés vers le folk que vers le rock. Tu collaborais à la composition des morceaux de Noir Désir. Qu y apportais-tu précisément? Oui, effectivement, les deux albums sont plus folks. C est quelque chose qui me convient mieux, que je fais assez naturellement. J aime bien cette expression, elle rejoint ce que j ai toujours écouté dans mon coin. Ça correspond bien au langage et au type de voix que j ai. Je suis très sensible aux mélodies simples du folk, aux guitares sèches. Dans Noir Désir, c était complètement différent. Je n ai plus eu véritablement envie de faire du rock tout seul parce que je crois que le rock, c est un truc de groupe. Je me suis toujours senti extrêmement à l aise en groupe pour faire et écrire du rock. Ce que j apportais à Noir Désir? Peut-être justement des morceaux un peu plus mid tempo comme Septembre en attendant, par exemple. Mais vraiment, c était plutôt mélangé. À l intérieur de Noir Dez, j avais une inspiration tout à fait rock. Et d ailleurs, je pense que si je devais rejouer en groupe, j aimerais probablement faire du rock. Travailles-tu sur un troisième album? Quels sont tes projets sur le plan musical? Oui, je travaille sur un troisième album. C est un vrai bazar, parce qu il faut à chaque fois repartir complètement dans le vide, se dire qu une fois qu on aura fini, on n est pas sûr d avoir un contrat avec une maison de disques. Même si ce n est pas censé jouer un rôle sur le plan de la composition d un album, malgré tout, ça travaille un peu au fil du temps. Cette impression de monter tout le temps la même colline, de se réveiller et de se retrouver en bas. Je n ai pas encore d orientation bien précise pour ce nouvel album. Je commence à écrire des chansons, et je vais voir ensuite vers où elles veulent partir. Je ne pense pas que ce disque sera radicalement différent. Mais j ai toujours envie de tenter de nouvelles aventures. Tu veux bien me parler de tes premières amours musicales? Mes premières amours musicales remontent à ce que j écoutais enfant. J ai la chance d avoir grandi dans une famille qui écoutait plutôt de la musique de qualité. Je veux dire qu on n écoutait pas Sheila et Ringo, ou des trucs comme ça. Pas de la variété mauvaise. Ma mère écoutait beaucoup ce qu on appelait les grands chanteurs français. Brel, Piaf, Barbara, Ferré Mon premier amour musical était sans doute Piaf, dont le côté mélodramatique me tordait le cœur. Quels sont les musiciens qui t ont donné envie de jouer de la musique à ton tour? Des copains, qui avaient ramené une guitare à l école, et qui jouaient des chansons de Brassens ou Lennon. C est ça qui m a donné envie de faire de la musique. Pouvoir participer à ce truc-là, prendre ce bout de bois pour faire de la musique avec les autres. 6 8

69 Te souviens-tu de ta première rencontre avec la musique? Ton premier choc? Peux-tu me le raconter? Des grands chocs, il y en a eu plusieurs! Les Clash en concert, le Gun Club, que j adorais. D ailleurs, j écoute de la musique pour ça, je vais à des concerts pour prendre des tartes. Mais ça n arrive pas tous les jours, seulement quelques fois dans une vie. Peux-tu me citer les musiciens des années 60 et 70 que tu admires le plus, que tu écoutes encore aujourd hui? Biolay me semble bien. Et je viens d écouter le nouvel album d Alexandre Varlet. Vachement bien aussi. Et il y a Philippe Katerine, qui a fait un truc génial, entre l extrêmement fin et le complètement secoué. Il faut un sacré talent pour faire ça. J ai moi-même découvert ta musique en solo parce qu elle circulait illégalement sur Internet. J ai tant aimé que j ai fini par acheter tes deux albums. Que penses-tu du piratage? Es-tu totalement contre ou es-tu plutôt heureux que le téléchargement illégal puisse te faire connaître plus largement? J adore Leonard Cohen, c est l une de mes influences de base. Et Neil Young, évidemment, les Moody Blues, Janis Joplin. La voix de l ange Et Hendrix, bien sûr. Curieusem*nt, pas tellement les Doors. C est assez drôle, parce qu on a souvent fait un rapprochement entre les Doors et Noir Désir. Mais moi, ils m ont toujours un peu emmerdé Et parmi les musiciens actuels, lesquels t intéressent particulièrement? C est marrant, parce que j ai peu l habitude de dissocier les musiciens d hier et ceux d aujourd hui. Je mélange un peu tout, quoi! J aime bien Herman Düne. Il y a quelque chose d élégant là-dedans. Dans un autre registre, j aime Jan Garbarek, presque froid, terriblement technique, avec des énormes arrangements. Ce que j écoute sinon : le dernier album de The Coral, c est bien foutu, c est le savoirfaire anglais pour monter une mélodie imparable. Isobel Campbell et Mark Lannegan aussi, pour l ambiance que j aime beaucoup. Chez les Français, le dernier Benjamin Je suis entièrement pour le téléchargement le plus débridé possible. Dans mon cas, c est une formidable opportunité. En solo, je dois vendre peut-être 4000 albums. Donc l ouverture qui se crée grâce à Internet est extraordinaire. Alors n hésitez surtout pas! Par contre, il y a un truc qui pourrait être rigolo. On se pose souvent la question : «Combien de fois on a été téléchargé? Combien de gens nous ont écouté ainsi?» Avant, quand ça ne circulait que par disques, on le savait, ça nous donnait un renseignement précieux pour notre propre satisfaction. Alors je ne sais pas, il y aurait peut-être un truc à faire de ce côté-là. Par exemple, quand un mec télécharge notre album, il pourrait nous envoyer un mot pour nous souhaiter notre anniversaire, nous dire «Tiens, je t ai téléchargé.» Ça pourrait être une sorte de code. Comme ça on saurait qu on a été téléchargé tant de fois, ça fait toujours plaisir Pour découvrir Fred en musique, rendez-vous sur son site à cette adresse : 6 9

70 La soul psychédélique i vous avez aimé mon introduction à la soul, vous allez adorer ce dossier consacré à la soul psychédélique! Parfois ça part un peu dans tous les sens, alors accrochez-vous bien. La soul psychédélique est l un des nombreux sous-genres de la soul music ou R&B permettant de caractériser, comme son nom l indique, une sorte de fusion entre le rock psychédélique et la soul music. Il émerge dès la fin des années soixante et connaît son apogée au début des années soixante-dix, après quoi il laisse place à deux nouveaux genres, funk et disco. En fait, il y a souvent un côté funk dans la soul psychédélique (surtout du côté de Détroit) et c est normal puisque ce genre apparaît lui aussi à la fin des années soixante, de sorte que soul psychédélique et funk ont parfois tendance à se confondre. Mais, ce n est plus vrai au milieu des années soixante-dix, puisque du mélange subtil, soul music, rock psychédélique, funk, il ne va rester qu un seul des composants, à savoir le funk (en simplifiant un peu). Naturellement, ce processus est imputable à l essoufflement de la culture hippie, mais surtout du rock psychédélique. Il y a donc une véritable connexion entre rock et soul music, le premier influençant l autre, et vice versa. Dès lors, un problème sémantique se pose. La question est alors de savoir si tel ou tel album appartient ou non à la soul psychédélique et non pas au rock psychédélique marqué par la soul music. Dans quelques cas, il est simplissime de répondre à cette question. Par exemple, Janis Joplin est davantage assimilable au rock psychédélique, même si sa façon de chanter est vraiment très soul. Mais pour un artiste comme Arthur Brown ou même David Axelrod, c est déjà beaucoup plus difficile. Je ne sais d ailleurs pas trop où les classer. D un point de vue technique, la soul psychédélique se caractérise souvent par une rythmique syncopée, avec le fameux trio guitare/basse/batterie (ça c est pour le côté funk) et la recherche musicale avec l expérimentation d effets sonores multiples, électroniques ou instrumentaux (pour le côté psychédélique). Que de généralités! Sans surprise, on retrouve dans la soul psychédélique, de longs soli de guitares biens acides et torturées, comme sur le significatif Maggot brain de Funkadelic. 7 0

71 Le tableau général étant posé, entrons dans le vif du sujet. Direction les USA, car la soul psychédélique est avant tout un phénomène nord-américain. On peut identifier quelques lieux principaux où se développent les groupes de soul psychédélique : on les trouve surtout dans le Michigan (notamment à Détroit, la ville de la Motown), en Californie (Los Angeles et San Francisco) et un peu dans l Illinois (Chicago). Au programme, trois régions donc et dix albums - une sélection très arbitraire mais hétérogène, de quoi bien aborder ou redécouvrir la soul psychédélique. En fait, aborder la chose par région est peut-être maladroit. Finalement, on va partir dans tous les sens en retenant dix albums et seulement dix (enfin on verra) et puis c est beaucoup plus psychédélique. En, route pour le Middle West, chez Motown à Détroit. Là-bas il y a deux psychédélismes, celui qui sonne vraiment Motown et l autre (en simplifiant) mais j y reviendrais. Commençons par le premier en quelque sorte plus classique, très fidèle à l esprit Motown. En gros, c est une musique acidulée, assez courte, merveilleusem*nt produite, et faite pour exploser le hit-parade tout en restant de bonne qualité ; marketing et qualité ne sont donc pas forcément antagoniques. Comme exemple, citons l album War & peace d Edwin Starr, un vrai classique de soul psychédélique. Quant à War, le titre d ouverture, il est certainement l un des meilleurs du genre, un tube en puissance qui représente parfaitement l efficacité du son Motown. Pour la petite histoire, le titre War n avait rien d inédit et se trouvait déjà sur Psychedelic shack des Temptations, production de Norman Whitfield. Le titre a instantanément tout explosé sur son passage et dans le contexte de l époque, celui de la guerre du Viêt-Nam, des étudiants ont demandé à la Motown de sortir un single du fameux morceau. Mais les Temptations avaient d autres projets, et de ce fait Norman Whitfield a demandé à Edwin Starr de le reprendre. Il a accepté et en a offert une interprétation formidable. C est même une prouesse vocale. On retrouve dans War & peace d autres covers, parmi lesquels California soul, Raindrops keep falling on my head, ou encore At last i found love, eux aussi, d excellentes factures. C est sans doute cela qui explique la proximité de cet album avec la soul traditionnelle. Si vous voulez bien (et même si vous ne voulez pas), on va maintenant se pencher sur la soul psychédélique Motown de seconde espèce. Cette bestiole se caractérise cette fois-ci par une production remarquable (de ce côté-là ça ne change pas), de nouveaux rythmes (parfois funk) mais surtout par des morceaux beaucoup plus longs. Tout comme dans le rock psychédélique, le format explose littéralement et l intérêt commercial cesse d exister. Enfin, on parle de la Motown, une véritable usine à tubes seuls quelques titres s allongent, généralement deux ou trois par album. Pour l illustration j ai sélectionné deux disques incontournables, à savoir Psychedelic shack des Temptations (que j ai rapidement évoqué tout à l heure) et The undisputed truth du groupe éponyme. Autant vous le dire tout de suite, c est du très lourd. Alors c est bien sûr Norman Whitfield et Barrett Strong qui ont encadré l œuvre magistrale que représente Psychedelic shack des Temptations - l un des fleurons du label Tamla Motown depuis Comme je le disais juste avant, la recette traditionnelle ne s applique plus tellement ici et cet album est en quelque sorte plus technique que les précédents. Ce qui change vraiment, c est le mélange entre des vocaux 7 1

72 presque doo-wop et des guitares complètement acidulées (avec l aide de Melvin et Ragin, deux guitaristes). Une association franchement délicieuse que l on retrouve plus particulièrement sur Take a stroll through your mind et Friendship train, deux morceaux qui dépassent allégrement les 7 minutes. Le War déjà évoqué est dans sa version originale une des bonnes surprises de ce disque. Dans un style différent, l album comporte aussi des morceaux plus courts, et plus graves comme It's summer. L ensemble fusionne parfaitement, de quoi offrir l une des plus belles galettes du genre. Toujours chez Motown et dans le même esprit on trouve The Undisputed Truth. Il existe par ailleurs deux liens entre les Temptations et The Undisputed Truth. En premier lieu, le célèbre titre des Temptations Papa was a rolling stone n est ni plus ni moins qu une reprise et l on doit l original à Undisputed Truth. L autre, c est Norman Whitfield et son pote Barret Strong, de côté-là aucune surprise quand on connaît les deux albums. The Undisputed Truth est peut-être l archétype du groupe vocal, mêlant parfaitement voix masculines et féminines, le tout enrobé dans une rythmique funky irréprochable saupoudré d acides. Pour en revenir à l album de 1971, il comporte l un des plus gros tubes de la Motown (période soul psychédélique) à savoir Smiling facing sometimes. C est franchement excellent et très groovy. Autre délice, I heard it through the grapevine de Marvin Gaye qui est en fait l original. Le reste de l album est tout aussi bon, parfaitement hom*ogène et comporte en plus de cela de très bonnes reprises, comme Like a rolling stone qui apporte une nouvelle dimension au titre de Bob Dylan. J en ai terminé pour ce qui est de Motown. La soul psychédélique de Detroit ne se limite pas qu'au génial label de Berry Gordy intéressons-nous au cas de Funkadelic ou Parliament et plus précisément à leur troisième album Maggot brain. Il commence par un morceau absolument ahurissant et qui n a presque rien à voir avec la soul music et en cela il illustre parfaitement le mélange des genres. C est tout simplement l un des meilleurs soli de guitares psychédéliques, qui de façon inévitable transporte doucement l auditeur vers les portes du paradis. Il y a comme une légende autour de ce morceau, tout à fait intéressante. En gros, George Clinton (à l origine du groupe) aurait dit à Eddie Hazel de jouer comme si sa mère venait de s éteindre et accompagnait l âme de Jimi vers le ciel (de façon approximative). Je vous laisse imaginer ce que ça peut donner. Le reste de l album est assez différent et peut-être moins essentiel. Néanmoins, Super stupid et Wars of armegeddon valent vraiment le coup. Très psychédéliques, ils suggèrent Jimi Hendrix. Le dernier morceau cité est particulièrement intéressant pour son côté hypnotique et totalement barré, une belle façon de clôturer Maggot brain, album mêlant harmonieusem*nt rock psychédélique, hard rock, gospel, funk et soul music. Dans la soul psychédélique marquée par la guitare figure en bonne position The Isley Brothers (dans l Ohio) avec leur album dont le titre fait référence à leur formation de sextet. Les Isley Brothers y sont au meilleur de leur forme faisant de ce disque un réel incontournable. Les albums dont j ai parlé jusqu'à présent dataient tous de 1970 ou 1971, celui-là est un peu plus récent puisqu il est sorti en C est une période charnière pour le groupe, trois nouveaux membres faisant leur apparition. Dans cet album ou les guitares occupent un rôle prépondérant, on pense inévitablement 7 2

73 à Jimi Hendrix (d autant plus que sa mort est encore récente). Autant dire que c est du très bon. Je crois que le groupe a véritablement été influencé par l enfant vaudou et en fin de compte ce n est pas si étonnant. Rappelezvous, Jimi Hendrix a débuté sa carrière chez les Isley Brothers et c est peutêtre cela qui a marqué de façon indélébile cette merveilleuse formation malheureusem*nt méconnue. Mais l album a plutôt bien marché à l époque et des titres comme That lady et Summer breeze ont très vite acquis le statut de classique. Le premier qui ouvre l album est franchement excellent, surtout grâce au toucher du guitariste. L album comporte trois reprises, à savoir Don t let me be lonely tonight (James Taylor s), Summer breeze (Seal & Crofts), et Listen to the music (Doobie Brothers). Dans les trois cas, l interprétation est irréprochable. En bref, si vous aimez bien la guitare et la soul music, vous aimerez 3 + 3, un album presque parfait dans son genre. Pas très loin de Détroit, il y a Chicago dont la scène soul psychédélique est absolument remarquable. Comme je suis complètement fou, j ai décidé de m imposer un choix cornélien, en d autres termes je ne choisirai qu un seul album. Ce ne sera pas Superfly (de Curtis), pourtant le zénith absolu des scores blaxploitation. Il est parfait, mais à mon avis, ce n est pas nécessaire de s y attarder. C est tellement classique, comme Ray Charles ou James Brown. Sinon il y a les Chi-Lites, Rotary Connection Je vais plutôt vous parler d un groupe pas très connu, mais tout à fait dans l esprit soul psychédélique. Ce groupe c est Black Merda. On dit souvent qu il est de Détroit mais c est bien à Chicago qu il a enregistré, ce qui est totalement déterminant. De plus, un seul de ses membres est originaire du Middle West... Je le précise tout de suite, il ne faut surtout pas s arrêter au nom (à rapprocher de Black Murder) car c est franchement excellent d autant plus que les membres du groupes ont un CV plutôt glorieux à leur actif ayant notamment accompagné Edwin Starr, Wilson Pickett et même les Temptations! Mais le succès d Hendrix a conduit ces musiciens de génie vers des contrées beaucoup plus psychédéliques. Fait notable pour les titres de leur premier album, ils sont tous originaux (ce qui est assez rare en soul) d autant plus pour un groupe méconnu. Le plus extraordinaire c est qu ils sont tous parfaits, ce qui fait de cet album l un de mes préférés. Dès le premier morceau l influence hendrixienne est évidente, à la fois pour les guitares et les vocaux, mais le groupe a tout de même son identité propre puisqu il est plus proche du R&B. J ai déjà évoqué Jimi plusieurs fois, en parlant de Funkadelic, des Isley Brothers, mais c est vraiment Black Merda qui s en rapproche le plus. Les sommets de l album c est peut-être Over and over et Windsong pour leurs soli acides et renversants, lesquels n ont rien à envier aux meilleurs morceaux de rock psychédélique. Si ce groupe a été influencé par Hendrix, il l a été aussi par Muddy Waters, et ce sont ces influences qui rendent si difficile son classem*nt. À ce propos, c est certainement le groupe qui a reçu le plus d étiquettes (R&B, funk, soul psychédélique, rock, blues, etc.) alors que les membres se voyaient plutôt proche des Beatles et d Hendrix. En fait, le terme le plus adapté c est peutêtre celui de rock afro-américain psychédélique. Pour la petite anecdote, lors d une tournée en Californie, Black Merda a tellement impressionné Eric Burdon (qui en avait terminé avec sa période New Animals) qu il voulait collaborer avec eux, mais ils ont malheureusem*nt décidé de retourner dans le Middle West. Bon je vais 7 3

74 quand même vous parler d un groupe indissociable de Chicago, parce Black Merda, c est peut-être trop détroyen (ça existe ça?). Et tant pis si ça ne fait pas dix albums. En fait, le groupe a été courtisé par la Motown mais ils assimilaient ce label à de la vieille soul ringarde et c est pour cette raison qu ils ont préféré enregistrer pour Chess à Chicago. On va donc s intéresser à un artiste qui cette fois ci, est réellement indissociable de Chicago : ce sera Baby Huey pour son album A living legend, vraiment très impressionnant. Il contient une version absolument hallucinante du morceau A change is going to come (Sam Cooke) qui s étale sur près de dix minutes. Le début est chanté à la façon d Otis Redding mais vire ensuite vers quelque chose de beaucoup plus incisif, puis dépouillé pour terminer en apothéose. L une des meilleures interprétations de ce morceau! L autre reprise fabuleuse qu on trouve sur ce disque est California dreamin. Elle est vraiment unique et diffère totalement de l originale. Généralement, les reprises de ce titre ont tendance à tourner en rond. Ce n est pas le cas ici il faut vraiment écouter cette version, entièrement instrumentale. Baby Huey qui avait surtout une réputation en live n a malheureusem*nt enregistré qu un seul album (posthume), emporté par la drogue à l âge de 26 ans, comme tant d autres Finalement, je vais tout de même vous dire un mot au sujet de Curtis puisqu il a produit Baby Huey et composé trois titres de son album lesquels sont Mighty mighty, Hard times et Running. C est quand même un gage de qualité! Je vous conseille également d écouter un titre que j adore, qui est Listen to me, surtout pour la guitare, très psychédélique et réglé sur San Francisco. La Californie a peut être été avec Detroit l'un des centres névralgique de la musique soul psychédélique, la démonstration avec trois groupes. Commençons par les Chambers Brothers et leur album The time has come, l un des premiers dans le genre puisqu il date de Bien que leur discographie comporte un certain nombre d'albums intéressants, celui-ci permet d'explorer un peu toutes les facettes de la soul psychédélique. Il s ouvre sur le très groovy All strung out over you, un titre qui donne sérieusem*nt envie de danser. Les vocaux sont très soul mais la partie instrumentale est beaucoup plus rock presque garage et on se demande presque si c est bien de la soul psychédélique. La réponse se trouve en fait dans le second morceau, une bonne reprise de People get ready, le titre de Curtis Mayfield, qui sonne presque gospel. On repart avec un solo d harmonica qui rappelle l ouest américain. Et la suite est dans la même veine c'est-à-dire de très bonne facture. Mais incontestablement le point d'orgue de l album est The time has come today, onze minutes de pur bonheur. Ce morceau est sérieusem*nt psychédélique, d abord pour ses effets sonores (des sirènes qui sortent de nulle part, des cris stridents ou des bruits bizarres), mais aussi pour ses guitares fuzz (presque à la façon de Country Joe) et son côté improvisé. Ce titre semble extensible comme du chewing-gum de sorte qu il dépasse parfois les trente minutes en live! Incroyable! L influence de la baie sur le groupe est ici évidente. Notons par ailleurs qu il n y a rien de funk dans cet album. L album sort en 1967, il est encore trop tôt. Néanmoins, les Chambers Brothers semblent être en avance sur leur temps. D abord musicalement (c est le vrai début de la soul psychédélique) mais aussi sociologiquement (quatre noirs, un blanc, ce n était pas si banal). 7 4

75 En Californie, on trouve également 5th dimension (Los Angeles). C est encore un autre genre de soul psychédélique à la limite de la pop, presque à part dans cette catégorie et à ce titre incontournable, d autant plus qu il ont influencé Norman Whitfield! The age of aquarius (1969), véritable tour de force musical est d après moi le meilleur album du groupe. Le titre le plus connu, c est sans doute Let the sunshine, très pop et presque bubblegum, une excellente reprise du titre phare de la comédie musicale Hair. En gros, c est comme si une voix soul se superposait à un titre purement pop. Si ça ne vous dit rien de nom, vous l avez peut-être entendu cet été puisqu il était en bande son des programmes Arte consacrés au Summer of love. Dans les morceaux phares de l album il y a aussi Sunshine of your love, une superbe reprise groovy et pop du titre de Cream. Et enfin, il y a l énorme The hideaway (Jimmy Webb), un morceau presque jazzy. Dans les titres qui font vraiment plus soul on a Wedding bell blues ou encore Let it be me. Album idéal pour aborder la pop/soul psychédélique jazzy. Au passage, si vous accrochez bien à la soul très jazz, il faut vous pencher du côté de Roy Ayers qui est aussi de Los Angeles avec notamment Ubiquity. Enchaînons avec la référence absolue Sly & The Family Stone et leur album culte There s a riot goin on, lui aussi d exception. Un must de soul psychédélique et un groupe de première importance dans la scène de San Francisco qui mêle subtilement R&B, pop et rock psychédélique. There s a riot goin on est la suite logique de Stand (l'autre sommet de Sly et la famille défoncée) mais en plus sombre et halluciné. Il traduit d une certaine façon les désillusions de la contre-culture hippie, mais aussi celles des minorités luttant pour les droits civiques (l album datant de 1971). Ce disque exprime parfaitement le caractère militant de la soul psychédélique - guère évoqué jusqu ici. Musicalement, cette galette touche au sublime. De façon générale, on s en rend bien compte en écoutant les plages les plus longues (Africa talks to you et Luv n' haight) mais aussi dans Family affair un chef d œuvre de soul psychédélique. C est assez planant, syncopé par l effet wha-wha donné à la basse et caractérisé par le synthétiseur. Et puis il y a la voix... Quel album! Pour finir je vais vous parler d un groupe plus original en ceci qu il est moins connu et très rare alors qu il est digne des précédents. C est Can And Able. Vous savez peut-être qu il y avait dans les années 70, une véritable scène afro-américaine à Paris, dont le groupe le plus connu était le Lafayette Afro Rock Band (également connu sous les noms Crispy & Co et Ice). Au départ, ce groupe s est formé à Long Island et c est afin de rencontrer le succès qu ils ont décidé d aller en France. Ils ont alors rencontré Pierre Jaubert, leur producteur. Plus étonnant encore, l orchestre de Nino Ferrer était ni plus ni moins composé de la formation Lafayette Afro Rock Band! Quant à Can And Able, c est aussi un groupe d afro-américains expatrié à Paris. Oh surprise, ils étaient aussi sous la tutelle de Pierre Jaubert, et donc chez Polydor, un label bien français (si ma mémoire est bonne). Le premier morceau de l album, Girl you move me est tout simplement fantastique et digne des meilleures productions Motown, un titre bourré de wah-wha, guitares fuzz et percussions afro. Le second titre, Starchild nous assomme littéralement de plaisir, un mélange funk/jazzy accompagnant une voix absolument groovy. Les trois morceaux qui suivent sont des reprises 7 5

76 dont deux que l on doit à Wilson Pickett. Cela n enlève rien à la grandeur de cet album, d abord parce que ces musiciens sont avant tout des interprètes, mais aussi parce que les reprises font partie de l esprit soul. Déjà dix albums Bon je vais être sympa et jouer un peu les prolongations, mais vite fait, juste pour compléter. Allez, on retourne à Détroit, pas chez Motown mais chez Invictus. Il y a au moins trois groupes essentiels, The Politicians, surtout pour Psychasoula-funkadelic (1972), The Chairmen Of The Board et Freda Payne. Pour ce qui est de l album des Politicians, il s appelait originellement The politicians featuring McKinley Jackson. C est un concentré de délire psychédélique basé sur la puissance du funk et l intensité de la soul music, le tout étant quasi-exclusivement instrumental. Indispensable! En ce qui concerne The Chairmen Of The Board, le premier album du groupe est lui aussi excellent et en fin de compte, il se révèle très proche des standards Motown. C est au final très légèrement psychédélique. En tout cas, Give me just a little more time est une vraie petite merveille. Freda Payne quant à elle est surtout célèbre pour son équivalent féminin de What s going on. J ai oublié de parler du son de Philadelphie. Vous aviez remarqué? Je vais tout de suite réparer cette erreur avec un groupe bien explosif, Soul Survivors, qui fait de la soul psychédélique façon blue-eyed soul et c est l un des premiers groupes dans le genre. C est surtout When the whistle blows anything goes de 1967 qui vaut le coup, un album sans faiblesse et qui comporte l énormissime Expressway to your heart, l un de ces titres que vous avez déjà entendu un million de fois. On peut y entendre aussi la délirante et absolument jouissive reprise de Respect d Otis Redding. À noter une version totalement folle de A change is gonna come et c est comme ça tout le reste de l album. En bref, s il n en fallait qu un en blue-eyed soul psychédélique, ce serait celui-ci. Après, on pourrait penser aux O Jays, mais à mon avis ce n est pas assez psychédélique pour s y attarder. Mais dans le genre Philly soul funky, c est carrément excellent Du côté de New York, on trouve des trucs pas mal non plus, dans l ensemble beaucoup plus jazzy, très groovy, presque lounge. Pour découvrir cette scène, je vous conseille la formidable compilation The doors of perception orientée début 70 (même si ce n est pas toujours psychédélique). Il y a notamment Shirley Horn et le cosmique Consequences of a drug addict role, Wanda Robinson et son très planant A possibility (back home) ou encore Dizzy Gillespie pour ses jazzy Alligator et Matrix (du jazz avec une touche de guitare fuzz). J avais dit que je me limiterai à dix albums, et en rédigeant l article j ai finalement changé d avis. La soul psychédélique, c est vaste, trop peutêtre pour se limiter à dix albums. Mais vous connaissez désormais les grands standards, les disques incontournables. Il y en a d autres, par exemple Cymande (je n y avais pas pensé et c est blau_up qui m a rappelé ce groupe), les Metters, Barbara & Ernie, Batteaux, Friends Of Distinction, Rare Earth, etc. Ecoutez aussi les autres albums des groupes dont j ai parlé. Voilà, je crois avoir terminé mon boulot. Le vôtre commence, celui qui consiste à aller chiner. Je tiens à remercier blau_up pour sa relecture. Vincry 7 6

77 Entretien avec Savage Resurrection Bill Harper : chant Randy Hammon : guitare John Palmer : guitare Steve Lage : basse Jeff Myer : batterie Ils n ont enregistré qu un seul album en Une bombe de heavy psyché qui n a connu qu un succès relatif en cette époque si florissante sur le plan musical qu inévitablement, aussi géniaux qu ils aient pu être, moult groupes sont passés entre les mailles d une reconnaissance immédiate. Fort heureusem*nt, grâce à Internet et aux nombreux blogspots tenus par des dingues de musique, The Savage Resurrection goûte aujourd hui à une notoriété tardive. Leur album étant proposé en téléchargement libre un peu partout sur la toile, nombre de passionnés de rock des années 60 le découvrent maintenant. Il est ainsi passé du statut de galette poussiéreuse oubliée à celui de disque culte qu on s arrache sur ebay à des prix astronomiques. Les membres de Savage Resurrection ont eu la gentillesse de nous accorder une entrevue exclusive. Que voici : participé à l époque. C était aussi tellement innocent, avec l idéalisme de la jeunesse. Écoutez la musique, elle parle toute seule. Malheureusem*nt, comme la musique et la scène musicale se mélangeaient à toutes les drogues, à la fin des années 60, cette innocence avait quasiment disparu. Jeff : C était une époque spéciale. Je faisais de la musique par amour pour cet art, et je me foutais de l argent. J avais la chance d être musicien, et de pouvoir en faire mon métier pendant 25 ans. Mais il faut de l argent pour survivre, comme vous le savez. Il y avait une camaraderie entre musiciens, qui existe toujours. Certaines personnes sont jalouses du succès des autres. Les choses étaient moins tendues à cette époque, moins crispées, et bien sûr, il y avait les drogues et tout ça. Les musiciens étaient-ils amis ou rivaux? Vapeur Mauve : Comment était le monde musical de la fin des années 60? Randy : Le monde de la musique avait explosé, et vibrait d une façon incroyable. Il y avait littéralement des groupes partout. Il est très dur d imaginer ce que c était, sans y avoir Randy : Les deux à la fois. Même dans notre groupe, Jon et moi étions proches comme des frères, et constamment en compétition avec les autres, comme des rivaux. Cette tension, de toute façon, contribuait directement à la dynamique de notre son (duquel vous entendez seulement une partie édulcorée, sur l album). Au 7 7

78 sujet de la scène musicale de Richmond, je me souviens de rivalités explosives avec les autres groupes locaux, mais aussi d une fascination mutuelle, du respect et de l amitié. Il est toutefois important de noter qu à Richmond, nous étions tous des gamins, presque des ados, plein d hormones, de drogues et de rock and roll. rencontrés plus tard? Savage Resurrection : Nous vivions tous dans la Baie de L Est, près du pont de San Francisco. En 1964, alors qu il avait 13 ans, Randy Hammon faisait partie des Clouds, le premier groupe d El Sobrante. Par la suite, il a rejoint The Boys, band dans lequel John Palmer jouait lui aussi. Aujourd hui, on idéalise les années 60, le mouvement peace and love, les drogues. Était-ce vraiment chouette d être musicien à l époque? Jeff : Oui, c était une grande époque pour les musiciens, probablement parce que nous étions tellement respectés alors. Il y avait des tonnes de concerts gratuits, c est comme ça que le Dead et beaucoup d autres groupes se sont fait connaître. Des milliers de gens allaient à tous ces shows, ils payaient parfois 3 à 6 $ pour voir trois grands concerts au Fillmore ou à l Avalon Ballroom. Les groupes avaient la possibilité de rassembler les gens pour des causes politiques. Faire cesser la guerre du Vietnam, conscientiser sur les problèmes écologiques par exemple. Et quand vous étiez musiciens, vous aviez plus facilement accès aux drogues. Et au sexe, seulement si vous le vouliez, bien sûr. Randy : Nous étions en présence d une musique nouvelle, d idées nouvelles, c était une vraie renaissance, tant humaine que musicale, et il est dur d imaginer que cela puisse se reproduire un jour. D un autre coté, je trouvais que c était vraiment trop, et je me suis trouvé carbonisé par l intensité, relativement rapidement. Comment le groupe s est-il formé? Vous connaissiez-vous depuis votre enfance ou vous êtes-vous The Boys reprenaient le répertoire des meilleurs groupes anglais : les Kinks, les Animals, les Stones et les Troggs, mais également celui de formations américaines comme les Turtles et Beau Brummels. Ils ont participé à la Battle of The Bands, au Cow Palace de San Francisco. Bill Harper, Steve Lage et Jeff Myer étaient membres des Ravens. Ils venaient aussi de la Baie de l Est. Ils ont choisi de s appeler Whatever s Right vers Le groupe reprenait entre autres des chansons des Stones, des Byrds et beaucoup de surf music. Vers la fin de 1966, Randy et deux autres membres sont allés rejoindre Whatever s Right. Tous se fondirent dans Button Willow. John Palmer s est ajouté à eux. Leur répertoire comprenait des originaux, composés par Bill, John et Randy. En 1967, le groupe s est finalement appelé Savage Resurrection et se composait de Bill, Randy, John, Steve et Jeff. Comment avez-vous enregistré votre unique album? Randy : Thing in E a été enregistré sous forme de démo, avec Jammin, à Sunset Studios sur Sunset Boulevard, pendant l été La version de Thing In E a été utilisée pour l album, Jammin a été réenregistrée, avec les autres morceaux, à Amigo Studios, Hollywood Nord, en une semaine de 7 8

79 précipitation. Jeff : Oui, c était Amigo (Sound). On nous avait seulement accordé une semaine d enregistrement. Le producteur était Abe «Voco» Kesh, DJ sur KSAN, une radio très populaire de San Francisco. KSAN était une des premières stations de radio à passer autre chose que les hits du Top 40. Ils passaient des extraits d albums que ne diffusaient pas les autres radios, des chansons de 6, 8 ou 10 minutes. Les radios Top 40 passaient seulement des chansons de 3 ou 4 minutes. Le visage de la radio avait changé, pour un temps. De toute façon, on semble revenu à l ère du top 40. Pourquoi n avez-vous enregistré qu un seul album? Le groupe s est séparé. Dans le style classique d un groupe punk, le groupe s est séparé quand le succès était en vue. Pensez vous que vous auriez pu faire l album sans drogue (si vous en preniez)? Jeff : Je suis certain que les drogues influençaient la musique de beaucoup de gens. Mais de toute façon, il y avait du talent et de la créativité, avec ou sans drogues. Les drogues étaient une partie de la culture et de la rébellion pour les jeunes de l époque. Elles ont pu avoir une influence sur beaucoup de bonne musique, celle de Jimi Hendrix par exemple. Mais elles sont aussi responsables de la chute de pas mal d excellents artistes, comme Janis Joplin. Bill : Pas de drogues. Randy : Je ne prenais rien en faisant l album, je pense que ça gène mon jeu, et que j aurais mieux sonné si j avais attendu pour partir, après l enregistrement. Mais bon, vivez et apprenez. Avez-vous du matériel inédit enregistré dans les années 60? Si oui, pourrons-nous l entendre un jour? Jeff : Si Savage Resurrection a du matériel inédit, ce sont des répétitions, et j ignore où elles sont. Bill : Peut être. Randy : On n en connaît aucune, mais nous avons certainement dû être enregistrés en concert. Il est possible qu il y ait quelque chose quelque part. Nous avons aussi fait quelques enregistrements en parallèle, pendant les sessions de l album, que je trouvais incroyables. Malheureusem*nt, je n ai aucune idée ce qui leur est arrivé. Nous soupçonnons Voco de les avoir gardés, donc peut être qu un de ses enfants les possède. Je suppose que la raison principale qui les a empêché de sortir est que nous avons fait deux bœufs incroyables avec un guitariste très connu, et que Jon et moi l avons ridiculisé. Je pense qu ils sont restés inédits pour ne pas embarrasser ce mec, dans la mesure où Vocco ou Mercury étaient en relation avec lui. Savez-vous que votre album est devenu culte pour beaucoup de gamins, qui ont découvert votre musique à travers Internet? Que pensez vous du téléchargement illégal? Randy : J ai découvert ça il y a 8 ans, par accident, alors que je m ennuyais au bureau. J ai tapé mon nom, puis Savage Resurrection sur Google. Putain de merde! Je pensais que notre 7 9

80 musique était morte et enterrée sous trente ans de sable. Quel choc ça a été. J ai immédiatement pris contact avec les potes du groupe, et j ai découvert que tout le monde était dans le coin, en bon état. J aime ça! C est un bon antidote au poison de la cupidité de l industrie musicale, qui vend et laisse la musique et l art sans vie, encule les musiciens, sans les rémunérer correctement. Juste retour des choses. Et j aime le fait qu ils se focalisent sur la musique, et l écoutent. Par contre, j ai un vrai problème avec les pirates, qui font de l argent en volant la musique des autres pour la revendre. Pour moi c est vraiment du vol, et je trouve ça encore plus cynique que l industrie du disque, dans la mesure où ces gens sont conscients de ce qu ils font, mais se foutent pas mal d arnaquer les musiciens. Savez vous que nombre de mélomanes cherchent à se procurer votre vinyle original, qui se vend à des prix démentiels? Jeff : Je suis au courant de ça, c est pour cette raison qu on a sorti le CD sur Mod Lang, parce qu il y avait une demande. Bill : Bien. Randy : Longue vie au vinyle. Et longue vie aux DJ s qui l ont conservé vivant. Les CD sont morts (vraiment) mais les vinyles survivent. Qui l aurait prédit? Que pensez vous de la musique d aujourd hui? Qu aimez vous écouter de nos jours? Jeff : Je pense qu en grande partie, la musique d aujourd hui est de la merde, mais bien sûr, comme toujours, il y a aussi un paquet de bons musiciens. J écoute Peter Gabriel, Stevie Winwood (j aime tout dans sa musique, même ses trucs récents) Eric Clapton, Tom Petty. Je sais qu il y a des mecs, ici et là, qui jouent de la guitare et dont la musique est bonne, mais je ne connais même pas leurs noms. Bill : Plein de bons trucs, à n importe quel moment. Randy : J aime la musique actuelle, presque dans son intégralité. Je suis vraiment fatigué du trip hop (j en écoutais avant son explosion) depuis qu il a attrapé le même cancer que les autres genres, après sa commercialisation massive, et je n aime vraiment pas la violence. Mais il y a toujours quelque chose qui fleurit et qui brille dans ce genre musical. Bien que je considère Eddie Van Halen comme un dieu, et le Pagannini de la fin du vingtième siècle, je suis content que les guitaristes soient revenus à un son de guitare basique, à travers un ampli sursaturé, sans les fanfreluches, à moins que ça ne serve la chanson, et exploitent à nouveau la magie harmonie/rythmique de la guitare. Je dois confesser, cependant, que dans la musique récente, je suis insatiable de techno, funk, électro, spécialement dans un club, aux mains d un maître DJ. Longue vie aux DJ s. Allez-vous vous reformer? Quels sont vos projets? Un nouvel album? Des concerts? Savage Resurrection est-il vraiment de retour? Nous le souhaitons! Je pense que si notre musique éveille assez d intérêt, je ferais tout ce qui est cité plus haut : tournées, concerts, etc. Nous avons répété, et même composé quelques nouveaux trucs. 8 0

81 Bill : Nous aimons jouer ensemble. Randy : Jamais! Oh, vous voulez dire le groupe. Oui, oui, quand nous atteindrons le stade où nous voudrons nous entendre. Il n y a rien de plus pathétique que les vieux groupes sans le feu au ventre (par exemple les Moody Blues), et il n y a rien de plus cool que les maîtres rockers, qui peuvent éjecter les jeunots de la scène. Quels sont vos plans? faire uniquement ce que nous aimons jouer. La seconde : nous trouver une âme musicale en tant que groupe, qu il y ait quelque chose à offrir, et que nous ayons envie de l entendre. Troisièmement, verser cette âme dans de grandes chansons. Pour écouter l album de Savage Resurrection : Propos recueillis par Béatrice André Randy : Trois choses. La première : 8 1

82 The Hooded Moon ous êtes un fanatique raide dingue de Black Sabbath. Tout a commencé le jour de vos huit ans, quand votre père vous a réveillé en sursaut après son troisième pétard en vous beuglant Am I going insane dans les tympans. Un grand moment! Vingt ans plus tard, vous déballez le dernier album d Ozzy en bousillant le boitier par trop d impatience, vous balancez fiévreusem*nt la galette dans le lecteur et Ô rage! Vous constatez qu Osbourne est un rat fini. Misère, votre raison d être vient de foutre le camp Soyons avant-gardistes, découvronsles avant les autres! Je vous propose de faire connaissance avec ce groupe tout d abord en humour, car ces trois gars n en manquent certainement pas. Ils ont accepté de répondre à quelques questions d une joyeuse débilité. Suivra une entrevue plus sérieuse révélatrice du regard que portent nombre de groupes d aujourd hui sur l industrie de la musique à l ère du numérique. Mais rassurez-vous, si le vieux n est plus, la relève est bien là. Et elle est flamboyante! Ils sont originaires de Belgique une fois, forment un trio nommé Hooded Moon, et ils ont du talent à revendre. Voix magnifique, synergie parfaite, superbes morceaux rock remarquablement maitrisés. Leur premier album vient de sortir. 8 2

83 De gauche à droite, Will (basse, chant), Majnûn (guitare) et Gazzo (batterie) Entrevue déconne Pourquoi avez-vous choisi de faire de la musique? Pour l argent? Les femmes? Gazzo : Pour avoir une piscine en forme de batterie. Majnûn : Pour ne pas devenir bibliothécaire. Will : Enfin, le problème est que nous n avons ni argent, ni femme depuis que nous faisons de la musique. Votre premier album est disponible depuis octobre. Êtes-vous conscients qu il est probablement en train de s échanger sur les réseaux comme emule? Quel sort devrait-on réserver aux gamins qui téléchargent de la musique illégalement? Pendaison? Majnûn : J hésite Électrocution anale ou torture avec un tisonnier comme dans Le grand inquisiteur, film avec Vincent Price. Gazzo : Ou obliger les gamins à écouter certains groupes de pop rock belge. Will : Vous êtes caustiques! Vous êtes belges. En avez-vous marre qu on associe toujours la Belgique aux moules et à la Stella? Vous mettez de la mayonnaise sur vos frites? Gazzo : La Jupiler est largement supérieure à la Stella. Sinon, point de vue frites, il faut les cuire deux fois dans de l huile de boeuf. Majnûn : Je préfère le filet américain. Will : Moi, une bonne fricadelle radioactive. 8 3

84 J ai lu dans un vieux OK! Magazine de mars 1974 que les musiciens de Led Zeppelin avaient parfois tendance à boire un petit verre de trop après leurs shows. Et vous, vous êtes des gentils garçons ou vous vous pintez à mort à la Leffe après vos concerts? Gazzo : Non, au Havana Club (il est bon ton rhum!) Majnûn : Pour moi, c est de la vodka. Vous enregistrez actuellement votre deuxième album. Sera-t-il semblable au premier? Majnûn : Il sera rigoureusem*nt identique à Welcome to the circus. Nous ne souhaitons pas évoluer, juste faire un max de fric en recyclant sans arrêt la même recette. Will : Cette réponse nous a été soufflée par notre producteur, Jimmy Packes. Rêvez-vous de célébrité (honnêtement )? Jusqu où seriez-vous prêts à aller pour plaire à plein de monde et vendre beaucoup de disques? Gazzo : Je suis déjà célèbre. Majnûn : J ai déjà vendu mon âme trois fois. Will : Swan, le directeur du club Le Paradise nous a montré comment faire. Dans un an ou deux, vous allez être extrêmement célèbres. Vos millions de fans et tout le gratin des médias vont tomber sur cette entrevue débile que vous m avez accordée. Ça va sacrément miner votre crédibilité. Vous allez m en vouloir jusqu à la fin de vos jours? Majnûn : D ici là, je vivrais dans un ashram. Will : J aurais fini aux fous comme Syd Barrett. Gazzo : J aurais quitté le groupe. Will : Salaud! Gazzo : Quoi? J aurais gagné assez d argent pour construire ma piscine en forme de batterie. L album Welcome to the circus est disponible sur 8 4

85 Entrevue sérieuse En 2007, à l ère du numérique et d Internet, l industrie du disque a-telle encore un avenir? Les artistes peuvent-ils se passer des maisons de disques, producteurs et autres intervenants traditionnels? Il est possible de s'en sortir hors des circuits traditionnels, mais cela demande un grand nombre de contacts, beaucoup de travail sur le terrain, des maux de tête et de la sueur. L'industrie du disque reste néanmoins nécessaire, ne serait-ce que par ses moyens de diffusion et ses contacts sur tous les plans du "grand cirque musical". De plus en plus de musiciens se retrouvent sans contrat de disque et autoproduisent leur album. Ils le vendent eux-mêmes par le biais de leur site. Est-ce une voie possible à suivre? Pour l instant, c est le cas de Hooded Moon. Nous avons contacté plusieurs maisons de disque belges et reçu la traditionnelle réponse «votre musique ne correspond malheureusem*nt pas à notre attente commerciale.». Traduction : nous ne faisons pas de variété guimauve Star Cac, pas de pseudo-rock rebelle Nouvelle Stase et nous ne nous inscrivons pas dans la scène pop-rock belge qui favorise le look avant la musique. Nous avons donc choisi la voie de l autoproduction, possible à une certaine échelle, mais limitée dans ses développements, par nos faibles moyens de promotion et de diffusion. 8 5

86 MySpace : moyen de promotion réellement efficace ou leurre pour les musiciens? Au départ, nous n avions pas de MySpace. Ce sont les organisateurs de concerts et le public qui, à force de nous en parler et de nous le demander, nous ont "convaincus" d adhérer à "cette grande famille" (les guillemets ont toute leur importance ici). Nous avions beau leur répéter que notre site hoodedmoon.be permettait d écouter nos morceaux, rien à faire. Alors, nous avons cédé. Un ami n arrête pas de se moquer de nous à ce propos, d ailleurs, depuis. Nous l entendons d ici : «Vous êtes comme tout le monde. Vous avez un MySpace.». Depuis notre inscription, MySpace nous a rapporté quelques plans concerts, une promesse d interview dans un média belge et quelques rencontres sympas. C est déjà pas mal, les dix minutes consacrées à la création de notre page ont été bien rentabilisées, mais de là à croire au conte de fées "découvert sur MySpace", hum... L industrie des technologies prend de plus en plus la place de l industrie du disque tout en exploitant les artistes de la même façon (l ouverture du MySpace Store, itunes ) Comment expliquer la passivité des musiciens face à cela? Les musiciens ont toujours eu tendance à se laisser porter par les évènements, et à se concentrer sur l'aspect purement musical du trip, sauf certains groupes de pop-rock qui passent plus de temps à se coiffer puis à élaborer un plan marketing qu'à jouer. Si la musique était un film patriote, vous savez celui qui commence et se termine par un drapeau américain, nous serions tentés de vous expliquer qu il n y a que deux camps : les musiciens ayant pour ambition de devenir riches et célèbres, peu importe comment et les autres ne cherchant qu à toucher un public, sans faire de compromis, peu importe s ils ne gagnent pas d argent avec ça. Bien évidemment, ce sont deux extrêmes et pour éviter de sombrer dans un cliché, il faut admettre qu il existe une multitude de nuances. Mais si nous étions dans ce film patriote, Hooded Moon choisirait sans hésiter le deuxième camp. Que pensez-vous du téléchargement? Téléchargez-vous? Et selon vous, pourquoi le téléchargement gagne-til du terrain? Nous sommes pour le téléchargement dans l'optique de découvrir un artiste ou un groupe, mais il faut se rendre compte qu un son compressé ne vaudra jamais le mastering original d un CD, et qu un fichier mp3, pour les fans purs et durs, ne concurrencera jamais le vinyle, objet de fétichisme pour tout passionné de musique. Selon nous, la constante progression du téléchargement est liée à la difficulté d'accès à certaines œuvres, le coût du CD trop élevé, et, malheureusem*nt, la satisfaction du public malgré une qualité d'écoute moindre. Est-ce que Hooded Moon tourne dans des conditions correctes? Certains groupes alors peu connus se plaignaient toujours de crécher dans des hôtels pourris, sans un bout de savon pour se laver. On ne peut pas dire que nous tournions dans des conditions parfaites : difficultés pour trouver des dates ; frilosité des organisateurs de concerts face à un groupe n entrant ni dans une tendance actuelle ni dans une niche musicale en vigueur ; 8 6

87 problème pour débusquer des musiciens affectionnant le même style musical que nous afin d'échanger des concerts ; peu de soutien de l'extérieur (même notre entourage direct nous témoigne parfois peu d intérêt!) Et pourtant, les concerts se déroulent toujours bien, quelles que soient les conditions il nous est déjà arrivé de jouer sans retours - et le type de public présent. Notre problème majeur est d'arriver à atteindre certains cercles de diffusion, cercles concernant les personnes fans de heavy 70's, de psyché, et de classic-rock aussi bien que fans de rock à la Mars Volta, Wolfmother ou de stoner-rock. Que représente pour Hooded Moon le rock des années 60 et 70? Le rock des années 60 et 70, ou plus largement la musique de cette époque, représente une période d'une créativité extraordinaire, pendant laquelle de nombreux styles musicaux se sont développés en un court laps de temps, pour arriver à des formes sinon parfaites, du moins quasi définitives. On trouvait alors aussi une beaucoup plus grande ouverture musicale : on pouvait aimer à la fois du rock et de la soul, du blues et du hard rock, du progressif et du folk, du jazz et de la pop. Même si l'industrie musicale était déjà bien installée derrière, les musiciens pouvaient encore construire une carrière sur autre chose qu'un coup de marketing, et pouvaient évoluer musicalement. Les concerts ressemblaient plus souvent à une expérience, les groupes essayaient plus volontiers de se dépasser et jouaient moins sur les poses que sur un certain délire musical. Pour découvrir Hooded Moon en musique, rendez-vous à ces adresses : Béatrice André 8 7

88 s The Brian Jonestown Massacre est un groupe de San Francisco créé au début des années 90. Son leader, Anton Newcombe, voue un culte à l ancien guitariste des Rolling Stones, Brian Jones. C est de là que lui vient son amour pour les sons et instruments orientaux que l on retrouve dans beaucoup d albums du BJM. En plus d être un musicien et compositeur surdoué, Newcombe est également quelqu un de colérique et qui veut imposer sa vision des choses, ce qui laisse peu de place aux autres musiciens du groupe. Aussi, plus d une quarantaine de musiciens se sont succédés autour d Anton depuis la création du BJM. Certains ont créé leur propre groupe par la suite (Peter Hayes pour Black Rebel Motorcycle Club, Matt Hollywood pour The Outcrowd, Joël Gion pour les Dilettantes, Rob Campanella pour Quarter After). The Brian Jonestown Massacre a émergé en France grâce au film Dig! de Ondi Timoner, sorti en Dans ce film, on peut voir toute l amplitude du caractère autodestructeur de Newcombe : il sabote ses concerts (notamment le jour où un producteur y assiste pour lui proposer un contrat ), se bat avec son public ou ses musiciens, boit de la vodka à outrance. Le génial looser dans toute sa splendeur! Depuis le succès de Dig!, BJM fait régulièrement des tournées dans toute l Europe. Les salles sont combles à chaque concert. Discographie 1995, Methodrone Le 1 er album du groupe s inscrit dans la lignée «Shoegazing» (Sonic Youth, Spacemen 3, The Jesus & Mary Chain), le courant musical du moment dans les années 90 (avec le grunge). Mais cela n empêche pas de retrouver énormément de sons «sixties» dans la plupart des chansons (Wisdom, That Girl Suicide) ce qui fera la renommée du groupe, ce côté revival 60 s. Sur cet opus les grosses guitares saturées sont de sortie, et la première partie de celui-ci nous propose des 8 8

89 morceaux enivrants qui vous restent dans un coin de la tête. Par la suite l album part dans un délire total avec des morceaux comme Hyperventilation (certains n iront peut être pas jusqu au bout des 9 53, et pourtant!) ou bien Outback, instrumental délirant qui vous accompagne dans des sonorités noisies. Et puis vous avez She s Gone ; quoi de mieux pour clôturer ce magnifique album? Tout simplement une des plus belles chansons composées par Newcombe, tous albums confondus. Cette mélodie enivrante, ses chœurs omniprésents et cette voix qui vous transporte font de ce morceau un vrai régal pour vos oreilles. 1996, Spacegirl & other favorites 1ere édition en 1993 comprenant 7 titres Spacegirl est une compilation qui comprend certains titres de Methodrone et des inédits datant d avant Un indispensable. 1996, Their satanic majesties second request Inutile de vous donner l origine du nom de cet album (voir un certain album psychédélique des Stones). Ce disque est sans doute le plus original du groupe, tout comme l album des Stones il se différencie par l utilisation d instruments comme le sitar, mellotron, flûte, congas ainsi que des effets assez hallucinants au niveau des guitares. Ce disque est un voyage à part entière (il commence et se termine par le même thème All Around You). Pour cette production, Matt Hollywood est pour la première fois crédité d un titre (Miss June) mais Newcombe reste toujours le seul capitaine à bord et continue de nous en mettre plein la tête avec des morceaux de mieux en mieux produits (Anemone, In India You). Ce trip est un véritable chef d œuvre jouissif, n ayons pas peur des mots, et qui se trouve être le 1 er album de cette année 1996 qui fut la plus prolifique du groupe. 1996, Take It From The Man Souvent décrit comme étant le meilleur album de BJM, Take It From The Man, enregistré live en studio, est un double album dans lequel on retrouve la plupart des «hits» du groupe (Vacuum Boots, Who, Oh Lord). Cette fois-ci, Matt Hollywood écrit quatre titres qui nous dévoilent son talent de compositeur (Oh Lord, B.S.A., Cabin Fever et In My Life). De son côté, Newcombe n arrête plus de nous épater avec ses sons sixties qu il sait si bien mettre au goût du jour. On peut lire dans le livret que le fantôme de Brian Jones est venu le voir en studio pour lui demander de faire ce disque (rien que ça!). 1996, Thank God For Mental Illness Produit et enregistré pour la modique somme de 17,36 $, Thank God For Mental Illness est une démonstration de talents country et blues, un album dylannien. Dans l ensemble les chansons sont plus courtes mais il nous montre à quel point le groupe est aussi doué pour l acoustique et l électrique. On trouve aussi bien des chansons bien rock n roll (Talk-Action=sh*t) que de superbes ballades envoûtantes (Stars, Down) mais le plus surprenant se situe à la fin du disque : la dernière plage (Sound Of Confusion) démarre sur 7 8 9

90 minutes de bruits de moteurs et autres bruitages de rue, et nous emmène ensuite sur un magnifique medley composé de 3 titres différents où chacun trouvera son compte. 1997, Give It Back Suivront deux magnifiques maxi EP (Bringing It All Back Home Again Et Zero : Songs From Bravery, Repetition & Noise) dévoilant le virage musical pris par Anton Newcombe Bravery, Repetition & Noise Pour cet album, le BJM enregistre enfin dans un studio (les précédents étant souvent fait chez Newcombe) et ça se sent. Anton Newcombe est au summum de son inspiration, Matt Hollywood prend de l assurance, Jeff Davies rentre de désintox, tout est réuni pour faire un superbe disque. Il commence avec Super Sonic et on ressent de suite un son plus travaillé, plus pro que sur les précédents ; ce titre débute de la même manière que le 2 ème album des Dandy Warhols, Come Down (leurs frères ennemis), et enchaîne avec ce son indien si cher au BJM. Ce disque leur permet de s exporter et de connaître un certain succès aux Etats-Unis, et termine parfaitement cette trilogie en cette année Souvent cité comme étant l album le plus réussi, ce disque est parfait pour débuter l écoute de leur discographie Strung Out In Heaven Strung Out In Heaven est le premier album produit par une grande major (TVT), donc contrat oblige, Matt Hollywood est contraint de prendre les commandes car Newcombe est retombé dans la poudreuse. Ce disque est trop produit, dû à l absence d Anton, et se caractérise par un son plus pop. Il manque la touche BJM qu on apprécie tant mais cela n enlève en rien les qualités de ce disque. Trois ans après la sortie de Strung Out In Heaven (qui aura fait des dégâts : implosion du groupe, excès de drogues dures), Anton Newcombe sort la tête de l eau avec ce nouvel album. Dorénavant, il choisit ses musiciens, compose et écrit la totalité des morceaux. Il rappellera son fidèle ami et guitariste Jeff Davies et fait appel à Bobby Heckser, futur membre des Warlocks. Ce disque ne contient que des perles comme Nevertheless, le titre phare de BJM. Une ambiance mélancolique se dégage tout au long des morceaux qui permettent de ressentir le mal être de l auteur And This Is Our Music Cet album peut être particulièrement déroutant pour un fan du BJM première cuvée, fini le côté revival. Anton Newcombe ne cesse d expérimenter, utilise des boites à rythme, synthés, plusieurs sonorités «électro» se dégagent de ce disque. Mais la marque de fabrique du groupe (riffs interminables, accompagnements répétitifs ) est bel et bien présente du premier au dernier titre. On retrouve même des reprises de titres sortis ou non dans les précédents albums (Here It Comes, Prozac vs Heroin). La dernière production du BJM, We Are The Radio, est sortie en 2005 sous le label The Committee To Keep Music Evil. Anton Newcombe a créé ce label 9 0

91 en 1997 afin de rester indépendant de l industrie du disque et garder un total contrôle sur son œuvre. Tous ses albums sont en téléchargement libre sur le site de BJM (les enregistrements du dernier album «My Bloody Underground» ont été mis en ligne récemment). Le comité produit également d autres groupes comme Dead Meadow ou encore The Lovetones. Anton vient de monter cette année son propre label "A records" qui publiera tous les disques à venir. La distribution sera assurée par Cargo UK en Europe, Red Eye en Amérique du Nord, et MGM pour l'australie. Anton reviendra avant la fin de l'année en Europe pour enregistrer. Caro & Benpsyché 9 1

92 Hem, hem... cela fait trois mois que je savais que Jeff Beck passait dans le sud de la France... Une date à Nice, une date à Six-Fours (Var) et une date en Corse... Un pote à moi avait insisté pour que nous allions le voir à Nice dans les arènes. Bah! Pourquoi pas, le cadre niçois est cool, les filles sont belles et ça nous changerait d'air... OK pour Nice! Les semaines passent et, deux jours avant le concert de mon guitariste préféré, mon pote était cloué chez lui avec une méga fièvre! Les places n'étaient pas achetées, bref, le plan vraiment stupide de ma part... J'aurais dû fermer ma gueule depuis le début, m'acheter ma place à Six-Four (j'habite à côté de Toulon) et j'aurais campé devant, la veille, pour être devant à gauche... Je me renseigne pour acheter mon billet, et là : horreur, rage et désespoir... Il n'y avait plus de place à vendre! Le pire cauchemar de ma vie était en train de se produire. Mais, plus déterminé que jamais, je me rends sur place tout de même pour trouver un billet au marché noir. Que dalle! J'avais bien pensé à traverser à la nage les 300 mètres qui me séparaient de la presqu île où se déroulait le concert, mais bon, je reste là, sur la Jeff Beck, Six-Fours (19 juillet 2007) plage. Je n'étais pas le seul dans ce cas, et un petit nombre de mecs, comme moi, étaient assis là. Je sympathise avec certains d entre eux, on boit des coups, on discute, on attend le concert... Eric Sardinas entame la première partie de la soirée. Le son est bon. Même à trois cents mètres, on entend le show... Il est 22 h, Jeff arrive sous l'ovation du public. Pendant une heure et demie, il joue les titres de Blow by blow, ceux du live avec Jan Hammer, et une bonne partie de l'album Guitar shop, ainsi que quelques titres des trois derniers disques, dont le superbe morceau indien Nadia. Complètement frustré, je dois dire que ce concert était tout de même mémorable. Jeff est un grand, quel feeling! Putain ce que c'était bon! Aidé par une basse-batterie de ouf et un claviériste, je n'ai rien vu mais j'ai tout entendu! Je suppose qu'il avait la même coupe de cheveux, toujours sa Fender blanche et son attitude tranquille et détendue. Voilà... 1h du mat, je rentre chez moi, fracassé. Cette semaine à Toulon, il y a Larry Coryell et Birelli Lagrène. Concert gratuit. Maigre consolation me direz-vous... Lester 9 2

93 Iggy Pop & The Stooges, Palais des sports (3 juillet 2007) L animal sauvage est de retour! Je l avais promis à la rédaction de Vapeur Mauve. J étais parti avec les meilleures intentions à ce concert historique à plus d un titre. D une part, parce que les Stooges ont refait surface avec un nouvel album, et qu il s agissait donc de voir comment les nouveaux titres sonnaient en concert. Et d autre part, parce qu il s agissait de ma toute première expérience live avec l Iguane et ses acolytes. Alors, alors? Je m étais promis de disséquer le jeu des frères Asheton, d analyser la voix d Iggy, de vous faire une track list des plus complètes sur mon paquet de feuilles OCB. Sauf que Sauf que voilà, j ai été pris aux tripes comme toute l assistance, j ai envoyé valser stylo et tout compromis, pour mieux m éclater au son du magma sonore proposé par les Stooges version Une expérience unique! Vous en ressortez lessivé, à moitié sourd et complètement abasourdi par le show de ces géants du rock. À longueur de f*ck, Iggy et les frangins ont complètement médusé la salle, envoyé la sauce pendant 50 minutes sans temps mort. L urgence, la tension, le mépris d Iggy Un putain de moment rock n roll! Dès le début du set, on voit que l Iguane est en grande forme, haranguant la foule comme aux meilleurs jours, et dès le troisième morceau, la salle vacille, perd pied enchaîné par I wanna be your dog sur un ton infernal, une rythmique tribale emmenée par le jeu sobre des frères Asheton. Iggy saute partout, envoie valser son pied de micro, évitant de peu d écorcher les têtes du premier rang. L Iguane est là pour vous pousser à bout, le public fait partie intégrante du jeu des Stooges, c en est même une composante essentielle. Le funk menaçant de Dirt emboîte le pas, la voix d Iggy est prenante. Il ne lâchera rien, vous épuisant les neurones en trois ou quatre riffs destructeurs. Puis vient enfin My idea of fun, un de leurs nouveaux titres qui s emboîte à merveille dans ce set tendu, preuve que ce morceau est le chaînon manquant entre Funhouse et The Weirdness. Le fauve est lâché, commence à s émoustiller sur les amplis Marshalls. Et sur un superbe No Fun, le désordre sous tension amphétaminé envahit la scène. Le public se mélange au combo, tout part en vrille, le service d ordre ne peut que regarder. Ça saute partout. Et pourtant, Iggy garde toute son autorité sur ce bordel ambulant. Ils embrayent ensuite sur LE morceau de la soirée, un long I feel alright qui renvoie la foule hors de scène. Tout simplement monumental, entrecoupé de sax aux dissonances free jazz, l Iguane distillant ces I feel alright sur la musique toujours aussi burinée des frangins Asheton. Trollin et ses sonorités très Ramones font également mouche auprès du jeune public. Il y a quelque chose qui se dégage de ce live, l omniprésence et la main mise d Iggy sur le public. Il le maintient sous pression, en dispose quand il le souhaite, le fait valser pour mieux l insulter, le provoquer, tel un empereur sado-masoch*ste à l autorité suprême. Après un rappel qui n en est pas un, le set se finit à nouveau sur le très lancinant I wanna be your dog, qui achève une dernière fois le public. L Iguane entre en transe, menace de descendre son fute, et démontre à qui veut l entendre qu il est le seul, le dernier animal sauvage, libre et destructeur du rock. So, I Feel Alright Lou 9 3

94 Aujourd hui, dans Cinéma Nanars & Rock n Roll : Vampyros Lesbos. ai découvert Vampyros Lesbos, comme beaucoup de gens de ma génération, à travers le film du génial mais énervant Quentin Tarantino, Jackie Brown, proposant dans sa bande originale le morceau The Lion and the Cucumber. Ah, ce sitar, cette fuzz, ces trompettes, ces cris étranges et ce groove oscillant entre kitsch et psychédélisme! Je devais en savoir plus. Quelques recherches m ont rapidement appris que The Lion and the Cucumber est l œuvre de Vampires' Sound Incorporation, un obscur groupe de jazz-pop psychédélique, dans lequel officiaient deux musiciens allemands, Manfred Hubler et Siegfried Schwab. Le duo a commis deux albums, Psychedelic Dance Party (1969) et Sexadelic (1970), pour le réalisateur Jess Franco qui a utilisé ces titres dans trois de ses films réalisés en 1970 : Der Teufel kam aus Akasava (The devil came from Akasava), Sie tötete in Ekstase (She killed in ecstasy) et Vampyros Lesbos. Les deux vinyles de Vampires' Sound Incorporation ont été pressés à fort peu d exemplaires et sont donc rarissimes (que les collectionneurs acharnés parmi nos lectrices et lecteurs se le disent, foi de Nain!). Fort heureusem*nt, deux versions CD ont été éditées : l une sortie en 1995 à cinq cents exemplaires (3 films by Jess Franco), propose l intégrale des deux albums ; l autre plus largement distribuée (Vampyros Lesbos : Sexadelic Dance Party) compile les meilleures plages de Vampires' Sound Incorporation. Je conseille vivement cette musique aux amateurs de bizarreries acides et baroques. "Groovy!", comme pourrait s écrier Mimsy Farmer. Les années ont passé et j ai enfin débusqué le film de Jess Franco. C est donc déjà en grand fan de la bande originale que j ai visionné Vampyros Lesbos, pour la première fois. Je n ai pas été déçu par ce nanar culte. Une voix à l envers semblant sortir d un haut-parleur et rappelant furieusem*nt l introduction de Astronomy Domine de Pink Floyd retentit. Le générique défile. Un malstrom d images colorées emplit l écran. Dans une obscure boîte de nuit allemande, sur fond d orgue hammond, une strip-teaseuse envoûtante (Soledad Miranda), exécute une chorégraphie lascive (ecstasy!), puis embrasse et caresse une danseuse immobile (être immobile, un comble pour une danseuse!). 9 4

95 Parmi l assistance, se trouvent Omar et sa compagne Linda Westinghaus, une blonde sexy fortement perturbée par la strip-teaseuse. - Je la vois sans cesse en rêve depuis quelques semaines, confie Linda, le lendemain, à son psychiatre le Docteur Steiner. J ai peur, mais en même temps je suis excitée. Plusieurs fois, j ai eu un org*sme. Dans la vie, en dehors d une fréquentation assidue des clubs de strip-tease et des psychiatres, Linda exerce le métier d avocate chez Simpson & Fils. Elle se voit confier le dossier de la comtesse Nadine Korody. Celle-ci souhaite rencontrer Linda afin de régler une affaire d héritage. En grande professionnelle, notre héroïne blonde, sexy et avocate se rend immédiatement sur les terres de la Comtesse Korody en Turquie (je sais que Lesbos est une île grecque, mais on n en est pas à une incohérence dans ce genre de production). (l unique héritière du Comte Dracula) qui a choisi de charmer Linda, avant de la torturer, d abuser d elle et de lui sucer le sang. Linda parviendra-t-elle à s extirper de cette emprise maléfique? Et puis, d abord, est-ce un rêve ou la réalité? Au menu de Vampyros Lesbos, un abus de zooms chers à Jess Franco, un scénario abscons truffé d incohérences, des dialogues nullissimes en allemand (quelle langue chantante!), une esthétique seventies. Bref, on rit beaucoup. Et puis, surtout, il y a ces deux actrices : Ewa Strömberg, la blonde fragile et soumise, et Soledad Miranda, la brune mirifique et envoûtante qui a malheureusem*nt trouvé la mort à vingt-sept ans dans un accident de voiture, peu de temps après la sortie de ce film. Vous l avez compris, Vampyros Lesbos est un must pour les amateurs de série Z d horreur et de singularités psychédéliques! Il n y a pas à dire, mais la Comtesse Nadine Korody sait mettre à l aise. Une fois les présentations faites, elle balance à l avocate : - Vous devez être épuisée par votre voyage. Voulez-vous nager un peu avant de parler de cette affaire? - Avec plaisir, mais je n ai pas de maillot de bain. - Nous sommes entre nous. Et voilà nos deux héroïnes en train de se baigner sur fond de There s no satisfaction, titre détournant le riff de Satisfaction des Stones. - C est bon d être nue sur le sable. Surtout à deux, non? Si ça, ce n est pas du dialogue, amies lectrices, amis lecteurs, je veux bien manger mon bonnet! Au cours du repas qui suit la baignade, le spectateur ébahi apprend que Nadine est, en réalité, un vampire Avant de vous abandonner, je ne résiste pas au plaisir de glisser quelques mots sur les deux autres films de Jess Franco contenant les titres de Vampires Sound Incorporation. Même musique, même équipe, rehaussée de la présence d un vieux jeune premier, un certain Horst Tappert, mieux connu pour son rôle dans la série policière allemande numéro un dans les hospices, Derrick. Dans The devil came from Akasava, ce bon vieux jeune Horst joue un médecin, le Professeur Thorsen, marié à Ewa Strömberg qui le trompe allégrement on se demande bien pourquoi, c est Derrick quand même! Thorsen cherche à s approprier un minerai radioactif transformant le métal en or et les humains en zombies ; évidemment, ses plans seront déjoués par Soledad Miranda, agent de 9 5

96 Scotland Yard, danseuse à perdues. ses heures Dans She killed in ecstasy, Horst joue le rôle d un inspecteur de police (trois ans plus tard, suite à ce rôle, Horst Tappert deviendra Derrick ; s il avait su, le pauvre!). Il tente de coincer Soledad Miranda qui a décidé de venger son époux, poussé au suicide, en assassinant, les uns après les autres, les responsables de la mort de son mari. Même s ils sont amusants à voir, ces deux films sont bien plus faibles que Vampyros Lesbos : je les conseille donc uniquement aux fans hardcore de Vampires Sound Incorporation, de Soledad Miranda et de Jess Franco. Nain Dien Fiche technique Vampyros Lesbos Jess Franco aka Franco Manera aka Jesus Franco (Espagne / Allemagnee de l Ouest, 1970) Bande originale Psychedelic Dance Party (1969) Interprétée par Vampires' Sound Incorporation Composée par Manfred Hubler & Siegfried Schwab Mercury International, The Lions And The Cucumber Psycho Contact (Part One) There is No Satisfaction Psycho Contact (Part Two) The Message Psycho Contact (Part Three) Ghosts Or Good And Bad Onions Psycho Contact (Part Four) Countdown To Nowhere Psycho Contact (Part Five) Droge CX 9 9 6

97 importe qui aurait refusé ce genre de mission, bien sûr. Du coup, et comme il fallait bien un volontaire, j ai dit «Je vais essayer, sans rien promettre». Vous connaissez la rédaction, des vrais pros, pas à un défi prés. Choisir dix albums (pas un de plus, pas un de moins) à embarquer sur son île déserte personnelle, et se justifier ensuite. Face au monde qui attend, et surtout face à sa collection discographique qui demande quelques explications. Faites-moi donc livrer une plaque de marbre, ce sera plus simple pour se taper la tête dedans, en cas, fort certain, de crise de conscience. Par exemple, Eric Burdon, dans mon esprit, il est impossible d en séparer un de la poignée de chefs-d œuvre qu il a accomplis. Donc, à éliminer d office. Je vous le dis, ce jeu est d une cruauté de bourreauu chinois. Rolling Stones Let it bleed (1969) Au moment où ils reviennent nous visiter, il fallait bien les Roulants Cailloux pour commencer à se mettre la rate au court-bouillon. D entrée, ils luttaient avec les Who pour le panthéon des grands de ce monde, et leur avantage résidait en la présence d un de mes héros, Monsieur Rock And Roll lui-même, Keith Richards. Parce que, voyez-vous (et ça complique encore les choses), je voulais aussi une foutue cohérence, le premier devait mener au second, qui, éventuellement

98 Les Rolling Stones, dans la période dorée 1968/1972. Et c est Let it bleed qui est sorti en tête. Devançant son petit frère Sticky fingers d un rien, d une question de cohésion interne. Et puis d abord c est le dernier avec Brian Jones (pas à jeter comme argument) même si sa présence est réduite au minimum. Ensuite, avant que l image «mauvais garçon» devienne un gimmick, tout ici est tendu, violent, oppressant, d une crudité sans égal. Alors que les idéaux babas étaient enterrés du côté d Altamont, les Rolling Stones célébraient le Midnight rambler (Alberto Di Salvo) la dépravation totale (Live with me), laissaient Keith chanter le glaçant You got the silver, et sortaient vainqueurs par KO total, accompagnés par un chœur céleste (Can t always get what you want). Le tout sous une pochette d une laideur froidement calculée, c est leur blues à eux, qui exprime tout son dépouillement dans la reprise du Love in vain de Robert Johnson, et imprime sa marque dans la coloration acoustique de beaucoup de morceaux. Le dernier grand incendie avant la standardisation. Robert Johnson The complete recordings (1990) Robert Johnson (1911/1938) est la première véritable rock star moderne. Si Antonin Artaud (Le théâtre de la cruauté, 1935) analysait, avec une extraordinaire acuité, ce que seraient les arènes du spectacle dans le futur, Johnson a tracé la voie du «vivre vite/mourir jeune/influencer de façon impérissable tout ce qui viendrait après» avant Charlie Parker et Hank Williams, d une façon qui n est pas sans rappeler l aventure d un certain James Marshall Hendrix. J évoquais une certaine logique, plus haut. Un petit voyou du nom de Lewis Hopkins Jones (venu à Londres pour y réussir dans le blues) fit un jour écouter Robert Johnson à un de ses potes guitaristes. Genre de timide à grandes oreilles, Keith Richards, à la fin de l audition, eut ce mot historique «Mais qui tient la seconde guitare»? En deux CD, tout le blues moderne est là. Cette source où viendront s abreuver Cream et Led Zep (qui reprenait Travelling riverside blues à ses débuts), John Mayall, les Pretty Things et tant d autres. Finalement, on se fout bien de savoir si la 9 8

99 rencontre avec le diable a eu lieu à Clarksdale (il risquait surtout de tomber sur le Ku Klux Klan), si Johnson est mort empoisonné ou syphilitique, le mythe c est la peau de la banane, rien comparé au contenu. Aujourd hui, une histoire pareille serait du pain béni, une couverture médiatique inespérée. Ce qui compte, c est l héritage qu il nous laisse, tant sur le plan des structures que de la façon métaphorique (pas perdue pour Chuck Berry), et même s il avait des prédécesseurs lui aussi (Charley Patton, autre génial initiateur, géniteur d un blues vernaculaire, basique et ultra-compact), Robert Johnson apparaît, plus que jamais, comme celui qui a fait se lever le vent mauvais, celui qui porte les meilleures graines, sans même en avoir conscience, parce que très naïf et imbibé. Voir aussi Van Gogh et Rimbaud pour situer le niveau. d icônes quasi intouchables), il reste le marginal des marginaux. Les gens de sa maison de disques, parait-il, l auraient vu trois fois. Longtemps un nom confidentiel, il est aujourd hui quasiment partout reconnu pour ce qu il était, un génie. Auteur de seulement trois disques. Les choses auraient été simples, je choisissais Pink moon, son dépouillement inusable, son côté complètement opaque. Mais voilà, comme mon île déserte, c est aussi le reflet de ma propre vie, il faut se rappeler qu en 1990/91, un seul disque de Nick était disponible en France, une compilation. Un objet de survie, plutôt, qui annonçait la couleur dès la pochette, Le paradis dans une fleur sauvage. Et l artiste qui se planquait dans l ombre, derrière les contraintes commerciales. J entends déjà les fans hurler, libre à eux. En ce qui me concerne, ses plus grandes chansons sont là, rien d autre à savoir. Son talent unique de guitariste, sa voix basse, comme s il vous murmurait son message dans l oreille, ses compositions complexes et accrocheuses, un classique des dimanches de déprime, des humeurs incertaines, celles qui vous laissent sans trop avoir envie de mettre le nez dehors. Même capable de dézinguer Neil Young à ce jeu subtil, avec ces arrangements délicats qui fuient la putasserie comme la peste. Le courage (ou l abnégation) qu il fallait avoir pour sortir ça en pleine période glitter/heavy métal. Nick Drake The complete recordings (1990) Mourir jeune, c était aussi le lot de Nick Drake, après trois albums seulement. Un vrai héros culte, le personnage solitaire et dépressif, qui se mettait tout entier dans sa musique. Même dans la mythologie du folk anglais (qui compte beaucoup On remerciera donc (une fois n est pas coutume) la presse spécialisée qui a toujours produit un soutien sans faille à un artiste quasiment invendable, et on attendra la prochaine occasion de se remettre River man, At the chimes of the City Clock, Thoughts of Mary Jane ou 9 9

100 Hazey Jane. Seul évidemment. Pink Fairies Neverneverland (1971) Aussi talentueux (quoique dans un genre bien différent) et ignorés que Nick Drake a pu l être, les Pink Fairies ont été ensevelis sous une chape relativement épaisse d oubli, d indifférence, de mépris vite craché, qui les ferait presque passer pour des sous-produits, affublés de l étiquette infamante «boogie lourd pour rade à bière». Quelle connerie! prendre Pink Floyd au bras de fer (Heavenly man), les Fées Roses (nom piqué à une nouvelle de Jamie Mandelkau, manager des Deviants) démontrent toutes leurs qualités, leur savoir-faire pour vous convier au grand voyage, dans un bus un peu zigzaguant, mais qui roule vers les étoiles, sans se soucier des flics. Avec toujours cette guitare qui crame comme du charbon de bois, crépite et étincelle, avant de foutre le feu à l entrepôt. Champions de la cause underground (avec Third World War, Hawkwind, et Edgar Broughton) jamais vraiment séparés, ils ont survécu jusqu à aujourd hui, sans Paul Rudolph (reparti vendre des motos à Vancouver, remplacé par l imparable Larry Wallis) et gardés dans une semilumière par toute une série de rééditions absolument merdeuses, orchestrée par Twink lui-même. Bandes live très bien présentées, son désastreux souvent, pâle reflet de ce que peut donner Side two track one ou Uncle Harry s last freakout en version originale, au casque, quand l envie vous prend de décollage vertical. Issus de la scission des Deviants, Paul Rudolph (guitariste pyromane) Sandy Sanderson (bassiste à huit mains) et Russel Hunter (cogneur de service) avaient une idée bien précise dans la tête. Associer des riffs lourds et violents à des envolées plus cosmiques, le tout nappé d une bonne conscience de classe. Rejoints sur ce premier opus par Twink (ex-fairies/pretty Things/Tomorrow, compagnon de Syd Barrett dans Stars, et persuadé qu il allait diriger le groupe), ces gens ont commis là l un des actes ultimes du psychédélisme anglais. Rockant durement (Do it), swinguant allégrement (Wargirl) ou capables de Bridget St.John Ask me no questions (1969) 1 0 0

101 À la rédaction, on n est pas macho. Simplement, la sélection est tellement ardue que seuls les plus forts survivent. Et Bridget St John s est imposée seule, comme une grande, face à tous ces braillards qui entendaient la reléguer à la cuisine. Avec pas grand-chose, sa voix, sa guitare, ses morceaux simples mais pas simplistes, et son premier album, le très grand et très beau Ask me no questions de Signée sur Dandelion, le label underground de John Peel (créé en l honneur de la dame, se murmure t-il), Bridget était une habituée du circuit des facs, et elle tournait dés 1968 avec ledit Peel, alors DJ. C est d ailleurs celui-ci qui, tous les soirs, avant le set acoustique, conseillait aux gens de «fermer leur gueule et d écouter». bons, quoique plus travaillés et ambitieux. À la chute du label en 1973, elle s est retrouvée chez Chrysalis. À mon avis son Jumblequeen est complètement raté, noyé sous les arrangements lourdingues du bassiste de TYA, qui produisait. Aujourd hui exilée à New York, elle continue à tourner sporadiquement. Faites lui une petite place, et priez pour que ce concert de Montreux ressorte en DVD. Bon, en fréquentant la scène folk, elle avait aussi côtoyé John Martyn (un de ses copains de fac, qui l avait initié à l art délicat de l open tuning, cette forme d accordage impossible, et qui tient une des guitares sur le disque) et Nick Drake, et je vous arrête tout de suite, laissez lui une chance avant de la démonter à coups d arguments faciles. Je vous affirme que ce disque est une mine d or, avec de lointains échos du premier Leonard Cohen, sans le côté Valium, et un paquet de jolies chansons douces-amères, comme on aime en entendre, quand tout va trop bien. C est fou ce que des bongos bien placés peuvent ajouter. Question d atmosphère. Reconnue par ses pairs musiciens (elle a travaillé avec Ron Geesin, les gens de Quiver ou de Fairport Convention ; elle ouvrait pour Bowie, entre autres, et dans les bonus CD du troisième album, on trouve des morceaux live de Montreux, où elle était à l affiche avec les Doors et Caravan), Bridget a enregistré deux autres albums pour Dandelion, tout aussi Detroit Detroit (1971) Sautons un océan, pour une histoire très simple. Un gamin de Detroit (William Devise Jr, plus connu sous le nom de Mitch Ryder) qui voulait une chose et une seule dans la vie, devenir James Brown. Il avait la voix, le charisme, un bon groupe (les Detroits Wheels, avec Jim Mc Carty, futur Cactus, à la guitare, et John «The Bee» Badanjek derrière la batterie). Le sort lui fit cadeau de quelques hits, lesquels devaient, en retour, impressionner durablement Bruce Springsteen et John Mellecamp, qui le produisit, dans les années 80. Puis plus rien, sauf des habitudes à base de poudre

102 Detroit est une ville dure, très dure. Pour figurer dans ce top 10, Mitch s est battu avec ses riverains les Stooges, avec les Saints, Australiens pas tendres, et il s est imposé sans conteste, grâce à son chef d œuvre de Pas besoin de vous faire un dessin pour le nom du groupe. Bien épaulé par la guitare de Steve Hunter (oui, celui qui joue du lance flammes sur Rock and roll animal, c est peut-être un requin, mais il sait mordre là où ça fait mal) et à qui on doit, parait-il, l idée surhumaine de reprendre le Rock and roll de Lou Reed, entouré d une bande de vieux routiers (dont Badanjek) ultra-compétents. Le rock est roi, et déboule sans se faire prier. Amateurs de crème chantilly, vous allez être déçu, ici on parle meuble en chêne à la solidité éprouvée. Ryder chante superbement, voix éraillée, déglinguée par les abus, capable de s engager dans une reprise de Wilson Pickett, sans passer pour un baltringue au bout de trente secondes. Qui peut en dire autant? Écoutez démarrer la grosse bagnole, le V8 ronfle avec classe, les sièges sont en cuir marron, et la direction répond comme dans un rêve. Idéal pour frimer dans Motor City, foutre la honte à Alice Cooper, écraser son boa, bref montrer au monde la vraie classe du contingent Detroit. Seulement voilà, l époque voulait ELP et son CAP d électricien, Kiss et son Barnum, Grand Funk et son numéro d éléphants, tout et n importe quoi, mais pas Mitch Ryder, qui a rejoint la Cour des Miracles, avec cette fichue voix trop large pour lui. Bien des années plus tard, il enregistrera même un duo avec Marianne Faithfull, A thrill is a thrill/un frisson est un frisson, ce type sait de quoi il parle. The Velvet Underground Loaded (1970) Après une baston épique, qui a vu l élimination des Doors et d Hendrix (trop couru d avance), l évidence était là : toute bande de terre sans âme qui vive ne saurait être complète sans un album du Velvet Underground. C est dogmatique, mais c est comme ça. Avant tout, la question est de savoir ce que vous voulez trimballer, le poids d une légende, accompagné d une biographie d Andy Warhol et d un portrait de Nico, ou un disque. Un disque? Si c est ma tournée, ça se joue entre le troisième et Loaded, au rasoir. Celui-ci d un cheveu, parce que c est le premier que j ai eu (avec l immonde Live at Max Kansas City) au début de ma carrière d auditeur maniaco-dépressif. Ajoutons que cette chronique a été réalisée avec un CD première génération, histoire de rester fidèle à la raideur du vinyle. La version remastiquée du coffret étant hors jeu ici, quoique très intéressante. On connaît l histoire, Lou Reed poussé sur la touche par le management (disque et pochette charcutés dans son dos), Doug Yule aux commandes, ça allait donner quoi? 1 0 2

103 Une poignée de chansons où le Valium aurait remplacé les amphétamines d abord. Des mélodies enfin audibles, débarrassées des électrochocs de Sister Ray, et un brelan de classiques en marbre, comme rarement on en a entendu au mètre carré. Vous montez un groupe et vous cherchez une crédibilité? Reprenez Sweet Jane ou piquez le riff, ça a réussi à plein de gens. Bien sûr, après il faudra assumer. Ce qui me fascine le plus, c est cette impression d entendre un testament. Comme quelqu un au bout de sa vie, qui se baladerait en profitant de l automne, sans se retourner, en sachant bien que le premier virage peut être fatal. À ce niveau, I Found a reason, est l un des règlements de compte les plus vicieux que je connaisse. Les harmonies angéliques de l intro ne doivent pas vous abuser, on est ici en plein territoire reedien, la vacherie qui fait très mal. En trois phrases de son leader, le pauvre Yule en prend plein la tronche, dans un registre «Tu vois connard/j en ai marre et je me casse/mais t auras pas encore le plaisir de m enterrer». Même dans son œuvre solo à géométrie variable, Lou Reed a rarement retrouvé la dimension si particulière de Loaded, (peut-être vaguement dans certains moments de Coney Island baby). Pas mal pour un type qui a toujours prétendu connaître trois accords, et pas grandchose de plus. Master s Apprentices A toast to Panama Red (1972) À la croisée du hard première façon, du psychédélisme, et de la musique progressive, on trouve un genre bien particulier, rebaptisé du nom imaginatif de heavy prog, voire heavy psyché (il fallait y penser). En fait, une sorte de fourre-tout, très pratique pour ranger des groupes qui combinaient les trouvailles sonores d Hendrix, et le travail plus en profondeur de Pink Floyd. Adulée par les uns, méprisée par les autres, la bête est à prendre avec des pincettes, tant le rabâchage qui en a été fait a surgonflé beaucoup de galettes mineures, voire franchement mauvaises, donnant l impression d œuvrer dans un genre de précambrien, traduit en morceaux d une face, avec solo de batterie obligatoire. Le fond de l horreur. Ces chemins peu fréquentés, j aime à parcourir. Et si j ai bu mon content de bouillon, parfois pitance j ai trouvé. Ainsi Master s Apprentices, des Australiens venus chercher fortune en Angleterre. C est que le domaine est vaste, et la concurrence parfois de poids. Du coup, pour pouvoir parader ici, nos amis Kangourous se sont qualifiés face à des clients aussi commodes que Randy Holden ou 1 0 3

104 Morgen, la crème américaine de leur poule. Sorti en 1972, Toast to Panama Red, annonce la couleur dès la pochette, on va aller voir ailleurs ce qui se passe. Préparez-vous à un bon moment langoureux, sous votre casque, belles chansons, mélodies sublimes, mélange subtil d acoustique et d électrique, et quand vous êtes bien rincé, tout le truc décolle sans même prévenir. Avec des chœurs, avec le chanteur qui se met à raconter une histoire bizarre, avec le batteur qui fait doucement monter la sauce. Et d un coup, il fait un peu moins froid en hiver. C est que tout ceci est très organique, on sent les musiciens derrière, pas des foutus machins trop bien programmés qui seraient bien incapables de recréer les deux riffs absolument primaires qui vous déposent en douceur sur l intro de guitare sèche de Love is. Bide colossal, Toast reste un modèle de thalassothérapie à domicile, avec ses morceaux gigognes, branchés en direct sur l épine dorsale. Allez, un petit coup de plus. À moi que le son Motown endort, et qui me demandait quel géant allait contrebalancer la présence de Robert Johnson, la réponse apparut soudaine, sous la forme d une coulée de cuivre, chaude et onctueuse comme une douche de chocolat. Le son Stax, avec ses rythmiques implacables, à la fois dures comme du granit et aussi souples qu un roseau. Et le patron devant, costaud comme douze camions, capable de s arrêter au milieu de la chanson pour défier le groupe (Fa fa fa) et de reprendre son bout de chemin, sans même avoir perdu son souffle. Le seul exemple qui me vienne à l esprit, dans ce genre de combat d égal à égal, c est Eric Burdon se frottant à War. Et encore que dans ce dernier cas, il ait plus été question de survie, face à une machine à funk. Otis n avait pas besoin de se battre pour s imposer le boss. Morceaux balaises, ballades à vous faire chialer, cette compilation est à visser dans les oreilles de tous ceux qui nous les brisent avec le RnB contemporain, usine à tubes stéréotypés, dont la fonction principale se résume à celle des mouchoirs en papiers. Otis Redding The dock of the bay (1968) Ici, tout est vivant, le seul faux-pas (et encore) pouvant se résumer à la reprise du Satisfaction des Stones. Soudain le riff est étriqué, on dirait qu Otis s en fout ou que le groupe marche dans des godasses trop petites. Le même problème que Muddy Waters s attaquant à Let s Spend The Night Together pour faire plaisir à Chess. Sanglant retour de l histoire, les Stones ayant été parmi les plus zélés zélateurs de la soul et du blues (en y trouvant quand même leur compte, pourboire compris) 1 0 4

105 Simplement, certaines choses ne s inventent pas, Otis Redding était d une autre dimension, sa mort idiote n en reste que plus tragique. le ventilateur derrière) avec la constance de l hiver en Transylvanie. J aurais eu tendance à choisir son premier album, bardé de classiques camisoles (Two headed dogs, I walked with a zombie, Night of the vampire) qui s incrustent dans vos petites oreilles comme une tronçonneuse, mais c est une compilation qui a eu ma préférence. Sorti en 1987 sur un label Texan, Gremlins have pictures est un panier bien garni. Par contre pour l ordre chronologique serré... Roky Erickson Gremlins have pictures (1987) Et nous voici tout gentiment arrivés à la fin, vous voyez que ce n'était pas si dur que ça. Je vous ai réservé un client aux petit* oignons, un vrai fondu en direct du haut-fourneau. Ex-leader des 13th Floor Elevators, texans barrés, enfermé des années dans un asile, avant d en ressortir plus cintré qu un porte-manteau, Roger Kyniard Erickson est un authentique survivant psychédélique, une énigme vivante. Le bilan cérébral d Ozzy Osbourne doit ressembler à une séance de Yoga en comparaison. Revenu à la musique par la grâce de Philippe Garnier (très grand rock critique, un de nos maîtres) et de son label Sponge Records, Roky a une discographie solo tentaculaire et cauchemardesque, où le très bon alterne la raclure infâme (l album solo acoustique enregistré dans la chambre d hôtel, avec Les morceaux live précités, très proches de leurs versions originales, c'est-à-dire costauds et trapus comme du Creedence (Stu Cook a d ailleurs produit l homme), d autres en studio, une reprise fumante et déjantée du Heroin de Lou Reed, et, ce qui fait pencher la balance, une poignée de ballades acoustiques et déchirantes, à rendre Dylan vert de jalousie. Là, on voit les araignées courir sur la peau du crâne, et gratter la dinguerie jusqu à l os, un vent glacial agite des fantômes sans âge, qui d autre irait chercher un vieux mot latin comme Eksteen (esclave du démon) pour en faire une chanson? On parle d un film et d une tournée en Europe, faites le siége du comité des fêtes de votre bled, sait-on jamais, puissiez-vous les avoir à l usure... Certainement le seul humain à avoir officiellement certifié qu il était bien d une autre planète... Laurent 1 0 5

106 Je vous hais! e vous hais! J exècre la terre entière! Tout n est qu hérésie, plus rien ne va, ça me rend folle! J ai une furieuse envie de faire sauter la planète à la dynamite. Ou de sortir de chez moi avec un bâton de baseball et de massacrer le premier pignouf qui passe, pour le punir d être responsable de tous les maux de l univers. Qu il l ait mérité ou non, c est son problème, pas le mien! Mais non, je vous rassure, je blague Cependant, j ai un sérieux problème. J ai accepté de pousser la gueulante de ce nouveau numéro il y a quelques semaines, au sortir d un printemps québécois blanc comme neige, et je me sentais alors prête à livrer toutes les batailles. Provoquer Rupert Murdoch en duel, lui laisser la vie sauve seulement s il jure, devant témoins, que plus jamais il ne tentera de s enrichir encore davantage sur le dos des musiciens. Lever une armée et partir à l assaut des maisons de disques. Les bâillonner, leur bander les yeux, diriger leur main et les obliger à signer un pacte qui leur éviterait de tomber sous les balles du peloton d exécution. Elles ne gagneraient leur survie qu à la condition qu elles ne prennent à l avenir sous contrat que des artistes qui ont réellement quelque chose de magistral à apporter au monde de la musique, et qu elles envoient valser à grands coups de pied bien placés ces produits de consommation hyper radiodiffusés qui gangrènent notre paysage culturel. Seulement voilà, au moment où j écris ces quelques lignes, nous sommes en été. Il fait beau, les oiseaux chantent, la bière coule à flots sur les terrasses. L été, c est un sale temps pour les râleurs. Ce sont les deux seuls mois de l année où l on se sent zen, peace and love, un peu con et totalement apathique. La bière, justement, et ce soleil qui cogne sur le ciboulot et brûle toute trace d esprit critique Il faudrait partir en guerre contre les coups de gueule estivaux. Les bannir des journaux et des magazines, les envoyer en vacances forcées pour qu ils se ressourcent et nous reviennent plus vaillants à la rentrée. Un coup de gueule au mois d août, ça se traîne les tongs sur le bitume brûlant, ça végète en short en lorgnant les filles en minijupe. Ça n a rien de constructif, c est totalement improductif. Pardon pour l inutilité pathétique de mon propos. Redonnez-moi ma chance en hiver et je fais un massacre! Béatrice André 1 0 6

107 vous a présenté Vapeur Mauve N 2 Décembre 2007 D après une idée originale de Lou et du forum Rock 60/70 sans qui Vapeur Mauve n aurait jamais existé Coordination du projet Béatrice André Corrections Carcamousse, Greg le Méchant, Béatrice André Mise en page de la couverture et de l éditorial Elmo Mise en page et organisation du magazine Nain Dien Equipe rédactionnelle (par ordre d apparition dans le magazine) Lou, Potato, Carcamousse, Greg le Méchant, Nain Dien, Laurent, Harvest, Béatrice André, Cyril, Vincry, Elmo, Caro, Benpsyché, Lester Disponible en téléchargement gratuit sur Sortie du numéro 3 :??? 1 0 7

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